Le missile de Draghi contre les résistances à l’austérité

L’institut d’émission annonce qu’il va couper les vivres aux banques grecques parce qu’Athènes refuse de se conformer aux engagements du pouvoir précédent sous tutelle de la troïka et de tirer un trait sur 
ses promesses électorales et ses premières décisions anti-austérité.

Il est 22 heures, mercredi 4 février. Réuni à Francfort au 35e étage de l’Eurotower, qui abrite la Banque centrale européenne (BCE), un petit groupe d’hommes vient de décider d’ouvrir le feu sur le peuple grec. On imagine leurs mines solennelles et satisfaites, comme celles de généraux sortant du bunker qui leur sert de quartier général après y avoir pris des décisions lourdes de conséquences mortifères. Dans la nuit francfortoise, le Conseil des gouverneurs de la BCE a décidé de «tout faire» pour sauver le vieux «modèle» austéritaire en capilotade. Au risque de précipiter l’Europe dans un terrible engrenage et de faire le jeu de forces centrifuges qui menacent le projet européen. En chef de guerre, Mario Draghi a déclenché le missile de sa propre main : face au programme anti-austérité de Syriza, la BCE coupe les vivres au secteur bancaire hellénique.

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L’arme que Mario Draghi, le président de la BCE, aimerait «de dissuasion massive» contre le peuple grec, consiste à suspendre le processus autorisant les banques du pays à se pourvoir en liquidités contre le rachat de bons du Trésor locaux par l’institut d’émission européen. Cette disposition d’urgence avait été prise dans le cadre du dernier plan dit de sauvetage européen pour maintenir la tête de l’économie grecque hors de l’eau. Seulement elle était associée à de très lourdes contreparties puisqu’il s’agissait pour Athènes de se conformer strictement à son engagement dans les superplans d’austérité, dont la mise en œuvre était étroitement surveillée par une troïka des bailleurs de fonds d’Athènes (UE, BCE, FMI). Désormais seule la banque centrale grecque sera autorisée à pratiquer et donc à garantir ces opérations d’urgence.

 10954545_10205928421519057_1888611373397292236_n-1 Quelle est la faute originelle qui valent ces foudres au peuple grec ? Il a fait preuve de la plus grande légèreté le 25 janvier dernier en votant massivement contre l’austérité, partant du constat de plus en plus manifeste que loin de soigner son économie, celle-ci l’empoisonne consciencieusement depuis plusieurs années. On imagine les sueurs froides au sein de l’état-major de la BCE comme chez les gardiens du temple «austéritaire» européens. L’exigence de refonte d’un système qui prend déjà l’eau de toutes parts ne risquait-elle pas d’émerger trop fort et de se propager dans l’espace de la zone euro ? Tant les opinions observent d’un œil plutôt favorable les premiers pas d’Alexis Tsipras, le nouveau chef d’État grec, et de son ministre des Finances, Yanis Varoufakis, sur la scène européenne. Tout comme elles semblent apprécier leurs premières annonces conformes à l’engagement anti-austéritaire qui les a portés au pouvoir. La guerre de la BCE étant, comme l’autre, la prolongation de la politique par d’autres moyens, Mario Draghi entend bien signifier sur quelles conclusions doit chuter le compromis en cours de négociation autour d’un éventuel réaménagement de la dette d’Athènes : surtout ne déroger en aucun cas au cadre des mémorandums acceptés par le gouvernement grec sortant. Sinon la BCE fermera définitivement ce robinet à liquidités qu’elle s’apprête pourtant à ouvrir à fond pour répandre quelque 1 100 milliards d’euros sur les marchés financiers européens. «La Grèce ne cédera à aucun chantage», a aussitôt réagi Athènes en affichant sa détermination à poursuivre les négociations et en s’efforçant de rassurer sur sa capacité à fournir des liquidités à ses banques. Une solution que le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, a toutefois aussitôt relativisé en creux en indiquant laconiquement que son pays «ferait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter un dépôt de bilan.»

Un document du gouvernement allemand qui présente ses exigences

À Paris, le président Hollande s’est contenté, une nouvelle fois, de faire part formellement de son «respect pour le choix des électeurs grecs» sans pour autant désavouer le coup de force de la BCE. Tout au contraire. Celui-ci, a-t-il déclaré, «renvoie la responsabilité aux États européens. Et c’est légitime». Les principaux inspirateurs de l’attaque sont en poste à Berlin. Le climat glacial qui a préludé hier à la rencontre entre le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, et son homologue grec en a fourni une sorte d’illustration sans appel. À leur sortie, les deux hommes n’ont pu faire part que de leur totale divergence de vues. «Nous sommes tombés d’accord sur le fait que nous ne sommes pas d’accord», a relevé avec humour Yanis Varoufakis. Un document confidentiel émanant directement du gouvernement allemand et transmis à l’eurogroupe plaide résolument pour que les nouveaux dirigeants grecs tirent un trait sur leurs promesses électorales et la totalité des décisions annoncées depuis leur arrivée au pouvoir. Ce «papier» gouvernemental, que nous avons pu nous procurer via le quotidien autrichien Der Standard, souligne ainsi que «l’eurogroupe a besoin d’un engagement clair du gouvernement grec à réaliser des réformes importantes que les autorités précédentes avaient engagées avec l’argent de leurs bailleurs de fonds».

Et d’énumérer point par point le détail des conditions à la pérennité de «l’aide» fournie à Athènes :

– Une poursuite du rôle joué par l’UE, la BCE et le FMI (la troïka) «dans la supervision et le contrôle de la mise en application des réformes».

– « Une déclaration » engageant la Grèce à «honorer ses engagements» à l’égard de tous ses bailleurs de fonds (BCE, FMI, FESF) «comme ceux lui ayant prêté de 
l’argent sur un plan bilatéral».

– Athènes se doit dans le courant de cette année d’avoir «un budget avec un excédent primaire de 3%. Lequel devra atteindre 4,5% dans l’année qui vient».

– Le nombre d’employés de la fonction publique doit «comme prévu être réduit de 150 000 postes».

– Le salaire minimum doit être maintenu à son niveau. Et les pensions de retraites plus étroitement liées au niveau des cotisations.

– La privatisation des ports, des compagnies qui fournissent l’énergie et des logements «doit être poursuivie avec pour objectif de verser cette année 2,2 milliards d’euros dans les caisses de l’État».

– Enfin la Grèce doit prendre des mesures pour aligner peu à peu les prix régulés de l’électricité «pour les particuliers et les petites entreprises sur ceux du marché».

La chancelière, Angela Merkel, s’était déjà illustrée à l’occasion d’un précédent coup de force en 2011 contre les autorités grecques. En plein G20 de Cannes, elle était alors intervenue avec Nicolas Sarkozy pour convoquer George Papandréou, alors premier ministre grec, et lui conseiller de démissionner parce qu’il avait eu le mauvais goût de vouloir convoquer un référendum à l’issue incertaine (Papandréou sera remplacé pendant plusieurs mois à Athènes par un technicien, le banquier central Loukas Papademos). Interrogée sur la validité démocratique d’une telle démarche par une consœur de la radio publique allemande, elle s’était alors défendue en indiquant qu’il fallait faire en sorte que la démocratie soit «malgré tout aussi conforme au marché»…

Faire grandir la solidarité 
avec Syriza

Le missile envoyé mercredi par la BCE sur Athènes s’inscrit dans cette logique postdémocratique. Pour prévenir toute tentation de s’écarter de la doxa ordolibérale. Fondé sur la mise en concurrence des économies et des États, ce «modèle» porte en lui la résurgence des nationalismes. En premier lieu, en Allemagne où s’étalait hier à la une du quotidien populaire Bild (6millions d’exemplaires) un gros titre enjoignant aux Grecs de «payer leur crise eux-mêmes» et usant pour satisfaire la démonstration des raccourcis manipulateurs d’un «journalisme» de la démagogie, en s’appuyant sur une «une étude de la Bundesbank» qui prouverait que (sic) «les Grecs ont effectivement beaucoup plus d’argent que nous» (les Allemands – NDLR). Il ne faut pas s’y tromper, cependant la brutalité avec laquelle agissent Draghi, Merkel et les partisans de la doxa ordolibérale, trahit aussi leur crainte de l’évolution des rapports de forces européens. Ils peuvent être isolés. Même en Allemagne. À côté de Die Linke qui a réagi en dénonçant hier avec force la décision de la BCE, le mouvement syndical (DGB) s’est prononcé contre la poursuite des politiques austéritaires et affiche sa solidarité avec Syriza. Une solidarité qu’il faut faire grandir aux quatre coins de la zone euro. Le défi n’est pas mince. Il s’agit ni plus ni moins de se sauver pour sauver l’Europe.

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