Les joueurs de flûte du mouvement xénophobe surenchérissent avec l’appui tacite de hauts dirigeants qui ont isolé la chancelière, en contestant ouvertement la nécessité du respect du principe du droit d’asile.
«Une vague de haine et de hargne contre les réfugiés inonde l’Internet ! Ça suffit.» Au lendemain de la nouvelle démonstration de force des Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident (Pegida) à Dresde le tabloïd Bild Zeitung, plus gros tirage de la presse germanique, a décidé hier d’entrer en campagne. La décision illustre à la fois une montée des craintes nourries par la poussée xénophobe et une véritable schizophrénie allemande sur le sujet puisque le même Bild fut, il y a tout juste quelques mois, au paroxysme de la «crise grecque», l’acteur d’une autre campagne, pétitionnaire celle-là, revendiquant «pas un sou de plus pour les Grecs voraces», en s’appuyant sur les clichés les plus… racistes.
Pour autant les bonnes raisons de sonner l’alerte ne manquent pas. Le défilé de Dresde a rassemblé quelque 20 000 participants. Pegida, qui célébrait son premier anniversaire, a réussi à amalgamer, comme au plus fort des rassemblements de l’hiver dernier, des militants néonazis, des ultras du «souverainisme», des sympathisants de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le parti d’extrême droite anti-euro (AfD), mais aussi des personnes «ordinaires» fragilisées par les réformes antisociales de ces dernières années et aveuglées par l’angoisse que les «migrants» ne viennent renforcer leur propre précarité. Les diatribes entendues y sont de plus en plus décomplexées. Comme celle d’Akif Pirinçci, cet auteur germano-turc de pamphlets homophobes et racistes. Invité à s’exprimer à la tribune il a regretté que, pour faire face à «l’invasion», les camps d’extermination soient «désormais hors service». Angela Merkel est accusée de «haute trahison» et priée de démissionner quand elle n’est pas, comme sur des banderoles la semaine dernière, promise à la potence.
Il ne faut certes pas s’y tromper : la société allemande possède les ressorts pour résister à ce terrible accès de fièvre. À Dresde des contre-manifestants, nombreux, ont fait front. Des dizaines d’associations continuent de clamer «Willkommen» (bienvenu) à l’adresse des réfugiés. À la Fondation Amadeu-Antonio de défense des droits des migrants, on dénonce une exploitation délétère des peurs face à l’afflux de demandeurs d’asile alors que «l’Allemagne a largement les moyens de faire face aux problèmes logistiques posés». Il n’empêche, l’inquiétude croît. Martin Schulz, le président du Parlement européen, alertait hier contre une extrême droite allemande, «moins nombreuse que dans d’autres pays, mais plus brutale et prête à la violence».
La chancelière, qui maintient ses positions de principe sur le droit des réfugiés à l’accueil, apparaît de plus en plus isolée. Plusieurs ministres CDU, et même le vice-chancelier SPD, Sigmar Gabriel, regrettent ouvertement une politique trop accommodante. Quant au ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, passé maître cet été, avec Bild, dans le maniement de la vindicte populiste antigrecque, il a trouvé bon d’indiquer que l’hébergement des demandeurs d’asile allait coûter cher et qu’il envisageait donc de «couper dans d’autres dépenses» afin de préserver le respect du sacro-saint équilibre budgétaire atteint cette année – «Jeter ainsi de l’huile sur le feu est tout simplement irresponsable», a réagi Katja Kipping, la coprésidente de Die Linke. Célébré dans la manif de Pegida, le premier ministre hongrois, Viktor Orban, avait été invité en grande pompe à Munich par la CSU, le parti chrétien frère de la chancelière. Les joueurs de flûte ont-ils vraiment eu besoin de forcer leur talent ?