Frauke Petry, stratège de 
la haine tranquille

La  dirigeante de l’Alternative pour l’Allemagne, le parti nationaliste, grand vainqueur des trois élections régionales du dimanche 13 mars dans le Bade Würtemberg (15,1% des voix) , la Rhénanie Palatinat (12,6%) et la Saxe Anhalt (24,2%), apparaît comme l’une des plus dangereuse des égéries d’une extrême droite européenne en pleine ascension, dopée par la crise du « modèle » ordo-libéral qui mine l’Allemagne et toute l’Europe.

Parmi les figures de l’extrême droite qui fleurissent aujourd’hui dans l’Europe en crise, Frauke Petry est sans doute l’une des plus dangereuses. Car elle a su jouer du climat de défiance croissante à l’égard du système et des partis dominants, réunis au sein de la grande coalition, avec une habileté consommée. Petite, menue, coiffée à la garçonne, la jeune femme récite la haine avec une force tranquille. Elle met tout son tempérament de première de la classe qu’elle fut tout au long de sa scolarité au service d’un pouvoir, le sien, et d’une politique, en jouant de ses propres dérapages ou de ceux de ses collègues. Pour les banaliser in fine. Un peu comme si elle jouait, terrible ironie du moment, à la « politicienne modèle » qui ferait la leçon à une classe politique vieillie et discréditée, accusée de ne pas respecter ses propres références libérales, celles qui excluent et recommanderaient la sortie de l’euro.

Frauke Petry s’est décidée à entrer en politique il y a seulement trois ans. Ex-chef d’entreprise, très imprégnée de valeurs conservatrices et libérales, elle hésitera un temps à faire son entrée à l’Union démocrate-chrétienne (CDU), où elle connaît beaucoup de monde. Elle va finalement choisir de se rallier à cette partie de la classe dirigeante germanique qui vit dans l’angoisse d’un transfert d’une partie des excédents allemands vers les pays surendettés du sud de l’Europe et voudrait se débarrasser de la monnaie unique. Petry se rapproche d’économistes dissidents de la CDU, ou de l’ex-chef du patronat allemand Hans-Olaf Henkel, avec lesquels elle va lancer l’AfD en mars 2013. Elle se hisse immédiatement dans une position clé, comme porte-parole du nouveau parti, juste derrière son principal inspirateur et créateur, le professeur Bernd Lucke, qui enseigne l’économie à la faculté de Hambourg.

La xénophobie transpire, dès le départ, du discours national-libéral. Dans son programme pour les législatives de septembre 2013, où, à peine six mois après sa création, l’AfD manque de très peu son entrée au Bundestag, le parti dénonce une immigration qui « vampirise les systèmes sociaux » et revendique qu’elle soit « interdite ». Quelques mois plus tard, Petry manifeste de plus en plus d’impatience pour les discours qu’elle estime trop convenus de l’ex-président du parti. Elle va alors décider de monter le ton, et mettre tous ses talents de « forte en thème » au service de la démagogie la plus rance. Elle va s’appuyer sur les militants les plus radicalisés qui ont fait une entrée massive au sein de l’AfD pour écarter Bernd Lucke et prendre le pouvoir. À leur demande, Petry n’éprouve alors aucune gêne à flirter avec les ultras du mouvement Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident). Elle les reçoit dans son bureau de députée régionale à Dresde. En juillet 2015, au congrès de l’AfD, elle atteint enfin le fauteuil tant désiré, le seul qui vaille à ses eux, celui du chef. Dans sa harangue devant les délégués, elle interpelle alors directement la chancelière : « Démissionne Merkel, tu peux le faire », ­détournant le fameux slogan « Wir schaffen das » (nous pouvons le faire), utilisée par la dirigeante allemande quand elle a justifié en septembre 2015 sa décision d’accueillir des réfugiés syriens sur le territoire allemand.

Une redoutable stratégie de communication

Depuis, Frauke Petry continue de manier la provocation, jusqu’à donner à plusieurs reprises le sentiment qu’elle a dépassé les bornes. Comme début février dernier, quand, répondant aux questions du Mannheimer Morgen Zeitung, un quotidien local du Bade-Wurtemberg, elle lâchera que la police « doit faire usage des armes » pour stopper les réfugiés à la frontière. Face au tollé, elle se rétractera et plaidera, selon une rhétorique rodée, qu’elle ne souhaitait la mort de personne et qu’elle a été mal comprise par une presse qui, de toute façon, lui est hostile.

Toujours fraîche, jeune, lisse, Frauke Petry a mis au point une redoutable stratégie de communication, détachant bien les mots comme celle qui connaît sa leçon et ne peut pas ne pas être entendue. Même quand elle doit négocier un virage à 180 degrés. Ex-femme d’un pasteur avec qui elle a eu quatre enfants, elle ne jurait au début de son ascension vers le fauteuil suprême que par « les valeurs traditionnelles de la famille », s’emportant par exemple contre la « sexualisation précoce des enfants ». Avant d’avouer publiquement, il y a quelques mois, qu’elle s’était séparée de son mari et vivait désormais, à l’unisson d’une certaine modernité, une idylle avec un compagnon, membre de la direction de l’AfD. La patronne des nationalistes ne manque pas une occasion de relever la cohérence entre une ligne xénophobe décomplexée et les engagements anti-euro du parti. Telle est la synthèse d’un national-libéralisme si inspiré des normes monétaristes du modèle allemand.

 

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