Les crédits gratuits de la banque centrale doivent servir au financement des services comme des investissements nécessaires d’urgence aux européens et ne plus être déversés sans condition sur les marchés.
L’Europe possède avec la BCE et l’euro tous les moyens de dégager les crédits nouveaux indispensables pour faire face aux défis majeurs du moment : emploi, formation, recherche, lutte contre ces inégalités qui ont explosé chez tous les états-membres ou encore combat contre le réchauffement climatique qui menace le genre humain. « Impossible, le cadre existant l’interdirait, » rétorquent les partisans de la poursuite du modèle ordo-libéral comme Emmanuel Macron ou ceux qui entendent le pousser jusqu’à son couronnement national-libéral jusqu’à sortir de l’euro ou de l’UE. Pourtant un simple examen de la pratique de la BCE ces trois dernières années inflige un singulier démenti à ces fables.
Sous l’impulsion de Mario Draghi, le président de la banque centrale, il a été décidé en 2015, avec l’accord de Paris, de toute les autres capitales et malgré les réserves de Berlin, d’inonder les marchés de crédits gratuits à taux zéro. Et les autorités monétaires ont gardé pendant trois ans, à raison de 60 à 80 milliards d’euros par mois, le doigt scotché sur le bouton « en marche » de cette création monétaire, baptisé pudiquement assouplissement quantitatif. Traduisez : planche à billets
Au total entre mars 2015 et décembre 2018 quelques 2600 milliards d’euros ont ainsi été octroyés aux grands opérateurs boursiers (banques, société d’assurances, gros détenteurs d’obligations d’entreprises ou d’emprunts d’état). Cette mesure d’urgence était destinée à faire face à un risque imminent de déflation, soit un terrible enchaînement systémique où la baisse des prix entraîne celle des débouchés des entreprises puis des salaires, de l’emploi et constitue un prélude à une entrée certaine en récession, voire en dépression de toute la zone.
Les pompiers de la BCE sont ainsi intervenus pour tenter de contenir le sinistre. Mission plus que délicate puisque ce sont les les dogmes de l’austérité inscrits dans les textes européens qui sont à l’origine de l’étranglement de l’activité et de la chute des prix. La pression sur le pouvoir d’achat des salariés, le gel ou les énormes retards d’investissements publics enregistrés partout, nourrissent l’état de léthargie chronique de la zone euro. Au total c’est donc un peu comme si les soldats du feu avaient reçu l’ordre de contenir les flammes mais sans arroser la racine du foyer de l’incendie. Au risque de le voir repartir de plus bel.
Pour qu’ils mènent à bien leur mission il faudrait juste qu’ils puissent décaler l’orientation de leurs lances à incendie dans la bonne direction, qu’ils démontrent une intransigeance implacable sur la destination des crédits gratuits afin de financer ces services publics et de ces biens communs, si indispensables à la résolution des grands défis sociaux et environnementaux évoqués plus haut.
Plutôt que de se déverser sur les marchés et gonfler une fois encore de très menaçantes bulles spéculatives, des centaines de milliards d’euros peuvent être mobilisés pour les peuples. Sans qu’il faille attendre un aussi hypothétique que lointain changement du cadre européen.
Ian Brossat et les communistes français proposent de créer dès maintenant un fonds européen de développement social et écologique solidaire. Alimenté par la BCE, il pourrait offrir le moyen aux états-membres et aux citoyens européens de court-circuiter la dictature des marchés, et de soutenir à taux nuls les investissements dont le besoin se fait sentir de façon si lancinante dans toute l’Europe et singulièrement en France quand le développement des services publics figure tout en haut de la liste des doléances des gilets jaunes.
Bruno Odent