Des économies de guerre contre les peuples

Les impérialismes de la Russie comme des États-Unis et de leurs vassaux atlantistes  nourrissent une course aux armements qui assèche les investissements si cruciaux pour le développement et le climat, ne profitent qu’aux oligarques fabricants d’engins de mort de tous les pays et menacent l’humanité jusque dans son existence. Il est temps d’amplifier les résistances et le combat pour la paix, en s’appuyant opportunément sur les initiatives avancées par  la Chine et le « Sud global ». Quand Lula avec les BRICS plaide pour un vrai système de sécurité collective et une monnaie commune, capable d’émanciper le monde de la domination du dollar (publié in économie et politique de mai/juin 2023)  

Rayonnant, la soixantaine bien en chair il agite la cloche symbolique à l’ouverture de la bourse des valeurs de Francfort, ce 20 Mars au matin. Son groupe vient de faire une entrée triomphale dans le club le plus prisé du capitalisme allemand, le Dax 30, aux côtés des Volkswagen, Siemens et autre Bayer. Armin Papperger, le patron de Rheinmetall,  fabricant des chars d’assaut Léopard,  d’autres véhicules blindés, des obus et munitions  vendus en kit, exulte. Avec une action que s’arrachent les « investisseurs » en ce printemps 2023 ; une valorisation boursière du titre qui a quasiment doublé en l’espace de quelques mois à 10 milliards d’euros et des profits 2022 en hausse de 20%, l’oligarque allemand figure parmi les plus grands profiteurs européen de la guerre déclenchée un peu plus d’un an auparavant par Vladimir Poutine. L’envoi de ses chars Leopard 2 sur le front, à la demande insistante des plus ultras d’un camp atlantiste en pleine ascension dans les capitales européennes et au sein du monde politique  allemand, l’a propulsé en haut du podium. 

Côté russe, les dirigeants de Rosneft, cet immense complexe militaro-industriel, fruit d’un vaste partenariat public/privé, ont toutes les raisons, eux aussi, de célébrer l’explosion des profits réalisés grâce à la guerre et la perspective de les démultiplier. La seule issue possible étant « une victoire », théorisée, et par Moscou, et par Kiev, à l’unisson avec ses puissants parrains occidentaux, dans la perspective du lancement d’hypothétiques « offensives de printemps ». 

Oleg Demchenko, l’un des principaux oligarques du secteur de l’armement russe est promis à des affaires toujours plus juteuses grâce à la production en série d’avions de combats de type Sukoy SU-30. Le multi milliardaire possède un modeste pied à terre de vacances de quelques millions d’euros à Saint-Jean-Cap-Ferrat sur la côte d’Azur française. Il n’a jamais été inquiété jusqu’ici dans ses prérogatives de propriétaire ou d’homme d’affaires par les autorités françaises ou européennes pourtant engagés avec les États-Unis dans un programme de sanctions économiques réputé draconien contre de multiples entreprises russes. 

 Si les voix des saigneurs de guerre semblent parfois impénétrables, la divergence entre leurs prospérités manifestes et l’accentuation partout des souffrances populaires se laisse, elle, très facilement repéré.

La prospérité macabre des oligarques de l’armement

L’oligarque allemand, Armin Papperger, a bénéficié de tous les relais d’un consensus « pro-guerre » au sein des médias européens et des partis allemands en faveur de la fourniture d’armes lourdes à l’Ukraine. Il est devenu l’invité de marque, en février 2023, de la conférence de Munich sur la sécurité. 

A l’occasion de ce grand happening destiné à mettre en scène la montée en puissance de l’Alliance atlantique dans la guerre par procuration qu’elle livre à la Russie, le patron de Rhein Metall  ne s’est pas contenté de faire la promotion de ses chars et de ses équipements les plus sophistiqués. Aux côtés des dignitaires de l’Otan, il s’est impliqué en faveur de la livraison à Kiev d’avions de combat et de missiles longues portées, capables de toucher le territoire russe en profondeur. Ce qui serait la seule clé, selon la propagande de guerre de l’Alliance et son allié ukrainien, capable d’ouvrir la voie vers une défaite écrasante de Moscou si ardemment désirée. Moyennant quoi il est fait très bon marché de la réaction d’une puissance nucléaire russe acculée à la défensive.

 Comme une sorte de couronnement de cette implication toujours plus forte de l’Otan, Papperger a présenté à Munich le projet d’un gros investissement en Ukraine même dans une usine en Ukraine pour y fabriquer jusqu’à 400 de ses chars derniers cris, de type Panther, par an. 

Illustration de ce besoin d’expansion et de destructions, comme de conquête de nouveaux territoires, d’accaparement de matières premières que porte le capitalisme, la mobilisation économique de Rhein Metall est lourde des fuites en avant guerrières les plus insensées. Elle accentue le danger que le conflit ne dégénère en une 3ème guerre mondiale entre superpuissances nucléaires. Pourtant la montée au front du géant allemand de l’armement et des chars d’assaut fut ou bien  ignorée ou bien banalisée par la plupart des médias de ce côté-ci du Rhin, très complaisants avec les surenchères des stratèges de l’Otan.

Un scénario identique se dessine en Russie où les poids lourds du complexe militaro-industriel, bénéficient, eux aussi, de toutes les complaisances. L’oligarque, Oleg Demchenko, réputé très proche de Poutine, a ses entrées au Kremlin et fonctionne , de fait , comme l’un des co-pilotes de l’économie de guerre russe. La production des avions de combat sukhoi, des chars et des munitions y afférant, s’intensifie. Elle constituait déjà, avant-guerre le second poste d’exportations russes derrière le gaz et le pétrole. Elle est devenue encore plus névralgique aujourd’hui pour l’approvisionnement d’une armée chargée de protéger ou d’étendre les zones d’influence d’un capitalisme russe en crise. Après avoir  tout misé sur des logiques de rentes minières, après avoir pratiqué des méthodes de prédation de la nature et du travail humain des plus drastiques, il ne voit plus que dans une fuite en avant impérialiste le seul moyen de reconquérir la puissance nationale perdue. Mais la société souffre, le nombre de citoyens passés sous le seuil de pauvreté ne cesse de croître.  

Une course aux armements record

Cette danse macabre des oligarques des économies de guerre russe et «occidentales» s’inscrit dans une funeste dynamique générale qui se paye au prix fort pour les peuples. Elle nourrit en effet une course aux armements au niveau global qui stérilise des milliers de milliards de dollars , d’euros, de yens,  de yuans ou de roubles. Les investissements devenus si crucialement indispensables pour le développement des femmes et des hommes pour l’emploi, l’éducation, la formation subissent un asséchement général. Quant aux déficits des engagements pourtant cruciaux pour l’humanité, en faveur de ces biens communs que sont l’énergie, l’environnement ou le climat, ils se font de plus en plus béants. 

Les dépenses d’armement ont connu une poussée globale jamais atteinte à plus de de 2113 milliards de dollars (2000 milliards d’euros) en 2022 selon le SIPRI (l’ Institut international de recherche sur la paix de Stockholm). A titre de comparaison l’organisme relève qu’au plus fort de  la guerre froide, dans les années 1980, ces dépenses avoisinaient les 1500 milliards de dollars en prix et taux de change comparables. Et une nouvelle accélération spectaculaire est en marche en 2023. Les États-Unis et leurs quelques 800 bases réparties sur le globe en alimentent la plus grande part.  Responsables déjà de près de 40% des dépenses mondiales d’armement, ils ont prévu de porter leur budget militaire à 858 milliards de dollars  cette année. Soit une augmentation de 8%.   

Les « partenaires »  européens de l’Otan se sont alignés sur cette tendance à la flambée des dépenses d’armement, comblant d’aise le président Joe Biden. La Maison-Blanche a en effet clairement annoncé son intention de propulser l‘Alliance comme auxiliaire de sa politique étrangère pour défaire la Russie, et en arrière-plan, beaucoup plus sérieusement, la Chine. Devenue seconde économie mondiale, celle-ci est présentée comme un dangereux rival, « un concurrent systémique pour les démocraties »  que Washington veut rassembler derrière lui. Le développement chinois et les ambitions de Pékin de faire évoluer l’ordre international vers une plus grande multipolarité, sont devenus les principales cibles stratégiques.

Berlin aux avant-postes de la militarisation 

L’Allemagne a pris les devants de ce réaménagement ultra-atlantiste désiré. Après s’être montrée réticente pendant des années aux injonctions répétées de l’Otan ou de Washington pour qu’elle augmente ses dépenses militaires qui ne dépassaient guère 1,3 % de son PIB en 2020 (contre une norme de 2% exigée par l’Alliance), elle a enclenché le turboréacteur du surarmement. Son chancelier, Olaf Scholz a proclamé « un changement d’époque ( Zeitenwende). » (1). Un budget supplémentaire exceptionnel de 100 milliards d’euros a été adoptée en 2022 pour l’armée fédérale allemande, la Bundeswehr. Et des commandes massives ont été aussitôt passées auprès des seuls fabricants états-uniens. 

Oligarque de toute première catégorie parmi les oligarques du secteur, James D. Taiclet, patron de Lockheed Martin en a tiré le gros lot. Berlin lui a acheté 35 chasseurs bombardiers furtifs F 35 pour remplacer les tornados vieillissants de son armée et se mettre en capacité de remplir la mission dite de « partie-prenante nucléaire » (nukleare Teilhabe)   qui oblige, « au cas où… »  l‘armée allemande à transporter sur zone les bombes atomiques états-uniennes, entreposées en Rhénanie-Palatinat sur la base de Büchel, à quelques encablures de la Lorraine française. Dave Calhoun, le patron de Boeing s’octroie l’autre grosse part du gâteau. L’avionneur US va livrer 60 gros hélicoptères de transport Chinook à la Bundeswehr. 

Airbus et les marchands d’armes européens n’auront que des miettes. Au grand dam des champions tricolores du secteur comme du président Macron qui ambitionnait de faire de la France et de ses industries militaires l’incontournable pilier d’une « Europe de la défense ». Ce projet est présenté volontiers comme permettant d’assurer une « autonomie stratégique européenne». Ce qui le rendrait, martèle cependant  l’Élysée, « mieux complémentaire de l’Otan ». Autrement dit : il constitue une version très alignée, mais concurrente du super-atlantisme derrière lequel Berlin qui va disposer de la plus grande force armée du vieux continent, cherche désormais à emmener le reste de l’UE. Avec la complicité d’autres États-membres d’Europe orientale ou de la baltique et singulièrement de Varsovie, recordman européen de la flambée des dépenses d’armement. 

Quoiqu’il en soit de ces divergences européennes, Paris qui figurait déjà parmi les meilleurs élèves de la classe atlantiste avec des dépenses militaires programmées pour atteindre les 2% de son PIB en 2025, a donné, lui aussi, un grand coup d’accélérateur. Emmanuel Macron a annoncé en janvier 2023 que le budget de la prochaine loi de programmation militaire allant de 2024 à 2030 allait passer à 413 milliards d’euros, soit une augmentation de 30% et de plus de 100 milliards d’euros sur la période précédente ( 2019/2025). 

Des peuples allemand et français en résistance à l’austérité

Cette flambée des dépenses militaires dans les deux principaux de pays de l’UE ne peut qu’être associée à un tour de vis supplémentaire pour les dépenses publiques et sociales. C’est dire combien le niveau de l’austérité déjà programmée par Berlin et Paris va encore s’accroître. Cette tendance heurte de plein fouet les résistances sociales en pleine ascension de part et d’autre du Rhin en ce printemps 2023. En parallèle les mouvements français contre le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans et allemands pour des hausses de salaires de plus de 10%, en particulier dans les services publics. Des affrontements de classe majeurs occupent ainsi le devant de la scène quand les premiers refusent d’abandonner deux ans supplémentaires de leur vie aux appétits du capital et les seconds se battent contre la diminution de leurs salaires réels amputés par l’inflation. Le président du syndicat allemand des services VerDi, Frank Verneke (2), relève la proximité de ces combats engagés de part et d’autre du Rhin contre les exigences de rentabilité de financiers pourtant largement co-responsables, avec la guerre, du surgissement l’inflation.

L’argument drapé dans la drôle de morale de la propagande de guerre, invoquant des sacrifices supplémentaires pour mieux doter les armées et de fournir toujours davantage d’armes lourdes aux ukrainiens, ne passe pas vraiment la rampe. Il est particulièrement malmené en Allemagne où demeure un mouvement pacifiste vivace, porté par Die Linke, qui refuse de se soumettre au consensus atlantiste. Dans l’analyse du conflit ce parti n’entend gommer ni la responsabilité majeure d’un Poutine, ni celle de l’impérialisme des États-Unis. Il fait observer, à juste titre, que Washington n’a pas lésiné depuis trois décennies sur l’expansion de son champ d’influence, y compris militaire. N’agit-il pas, en flagrant délit de forfaiture au regard des engagements passés, à la chute du mur de Berlin, auprès des ex autorités soviétiques ? Les diplomates dépêchés par Washington avaient- alors en effet ratifié des documents où ils promettaient de ne pas étendre le périmètre de l’Otan au-delà de l’Elbe vers les frontières russes (3). 

La dévastatrice illusion d’une victoire militaire

La course à l’abîme d’un 3ème conflit mondial, se nourrit de l’illusion d’une possible victoire militaire sans appel, cultivée dans les mots d’ordre officiels du Kremlin comme dans ceux du camp ukraino-atlantiste. Sous la pression de Washington et de l’Otan les capitales européennes s’y sont ralliés, y compris Paris même si Emmanuel Macron  y met quelques nuances quand il affirme qu’il faudrait veiller à « ne pas humilier la Russie.»  Tout le monde s’en tient à un soutien militaire accru à Kiev et affiche sa résignation à une guerre qui dure dans l’attente d’un changement de rapport de force militaire sur le terrain Avec son corollaire: une désertion des efforts de médiation qui a autant pour conséquence la prolongation des souffrances du peuple ukrainien qu’une potentielle escalade vers l’apocalypse nucléaire.

La diplomatie chinoise est la seule à rompre avec la partition guerrière diffusée par Washington et Moscou. La publication en février 2023 d’un plan en 12 points définissant les principes d’un règlement du conflit constitue une initiative internationale remarquable pour les pacifistes comme pour tous ceux qui souhaitent un retour à la raison, une avancée vers un cessez-le-feu préalable à une négociation, plutôt qu’une accélération des productions de chars d’assaut et d’avions de combat. 

Le plan chinois en appelle à un règlement sous égide des Nations Unies dont il rappelle, à bon escient, certains des principes fondamentaux, comme la souveraineté inviolable de ses États-membres. Il bannit tout recours à l’arme nucléaire ou même à la menace de son utilisation. Ce qui constitue autant de messages sans ambiguïté à l’égard de Poutine. Pékin refuse, en même temps, de lâcher la Russie, soucieux d’évidence de préserver une entente avec Moscou pour ne pas donner les moyens à Washington, de profiter d’un effondrement  russe qui lui permettrait de parfaire un «endiguement militaire» déjà redoutable de la République populaire. (4) 

Ce réveil d’une diplomatie chinoise, plutôt discrète jusqu’alors, a pu ébranler quelque peu les schémas stratégiques européens. En dépit des contrefeux bricolés, à la hâte, par Washington et ses vassaux les plus atlantistes, s’insurgeant contre de potentielles livraisons d’armes de la Chine à la Russie, avec cependant un degrés de crédibilité voisin de zéro. Au lendemain d’une visite d’État à Pékin, Emmanuel Macron est allé, lui-même,  jusqu’à susciter beaucoup d’émoi en prenant des distances avec un suivisme des États-Unis sur la question de Taiwan. 

Les BRICS mobilisés pour la paix et contre l’hégémonie du dollar   

Le tournant de cette fracassante entrée en scène de la Chine sur la scène diplomatique internationale a été d’autant plus efficace qu’il a bénéficié du soutien des pays dits du « Sud global ». Dès le G20 de Bali à la mi-novembre 2022,  le président chinois, Xi Jin Ping, s’attira l’attention et le soutien de ses partenaires du Sud en mettant en avant  le besoin d’une avancée diplomatique pour faire cesser le conflit. Les « émergents » payent en effet un tribu très lourd à une guerre en Ukraine qui a fait flamber les prix de l’énergie et des denrées alimentaires de base, dopant une inflation déjà élevée avant même le déclenchement du conflit. D’où l’aspiration à un retour au calme rapide, en particulier parmi ceux qui ne disposent d’aucune ressource en hydrocarbures. 

L’intérêt des pays émergents pour la paix et leur refus de s’aligner sur les surenchère de Washington et de Moscou constituent de puissants marqueurs de l’ampleur de la crise de confiance qui s’est fait jour dans leurs relations économiques avec le Nord et singulièrement avec les États-Unis. Depuis un peu plus d’un an les hausses de taux d’intérêt pratiquées par la réserve fédérale, la banque centrale états-unienne, sont à l’origine d’enchaînements délétères pour  tous les pays en développement : inflation de plus de 90% en Argentine, de 55% en Turquie, dévaluations en chaîne, surendettement, flambée des coûts du crédit qui assèche les investissements dans les domaines les plus basiques comme la santé, l’énergie, l’eau ou l’alphabétisation. 

Au Brésil du président Lula, la banque centrale n’a-t-elle pas fait grimper, sous pression des hausses de taux de Washington, le loyer de l’argent à un niveau quasi dissuasif à… 13,75% en janvier 2023. De quoi barrer la route à toute politique expansive du crédit pourtant indispensable, aux yeux du chef de l’État de gauche nouvellement élu, pour redresser le pays et lutter contre une pauvreté redevenue endémique.    

Et il ne doit rien au hasard que le même président brésilien ait décidé de passer à l’offensive, et sur le plan de la paix, et sur celui de la suprématie du dollar qui mine le développement du Sud. 

Sur le front ukrainien il s’est associé très démonstrativement, lors d’une longue visite à Pékin à la mi-avril, aux efforts diplomatiques chinois en appelant les principaux protagonistes, la Russie comme les États-Unis et l’Europe à « cesser d’encourager la guerre » et à œuvrer « pour la paix dans l’intérêt du monde entier. »

Sur le roi dollar Brasilia et Pékin dénoncent, au même moment, l’attitude du FMI qui étrangle des pays déjà en difficultés quand l’institution financière internationale sous influence de Washington « conditionne, disent-ils, comme en Argentine », ses aides financières à de funestes coupes dans les dépenses publiques et sociales. 

Quant à l’émancipation du billet vert Lula et les dirigeants chinois veulent aller vite et loin en usant d’un outil radical. Ils ont mis sur les rails le lancement concret d’un projet déjà antérieur des BRICS ( Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud), portant sur la création d’une monnaie commune pour échapper à cette suprématie du dollar qui donne aux États- Unis le pouvoir exorbitant de siphonner l’épargne mondiale et d’influer partout à leur guise, via la Fed, sur l’orientation des politiques économiques.

La New Developpment Bank », la nouvelle banque de développement créée par les cinq puissances, a reçu le mandat de présenter un dossier concret sur la réalisation  de cette monnaie commune d’ici le prochain sommet de l’organisation en août en Afrique du sud. A sa tête vient d’accéder, l’ex présidente brésilienne, Dilma Roussef, elle-même économiste. L’attrait du projet est tel dans le « Sud global » que toute une série de pays se disent déjà prêts à rejoindre les BRICS et leur  initiative monétaire. De l’Algérie à la Turquie en passant par l’Égypte et l’Indonésie jusqu’au Mexique et l’Argentine. D’obédiences politiques parfois très éloignées ils ont un dénominateur commun : ils souffrent l’enfer aujourd’hui à cause de l’hégémonie du dollar. 

Une illustration de la maturité des propositions communistes 

L’irruption de ce débat illustre la maturité de la proposition portée aujourd’hui par les communistes français, sur la base de la réflexion et des travaux de l’économiste Paul Boccara. Lequel fut le premier à formuler la nécessité d’instaurer une monnaie commune mondiale qui permette d’échapper aux diktats du dollar et des Etats-Unis. Fondée sur le développement et la coopération et non plus sur la loi du plus fort des marchés financiers elle permettrait de répondre aux besoins d’investissements si massifs et si globaux de l’humanité. Les dispositions existantes sur l’émission de Droits de tirages Spéciaux (DTS) du FMI pourraient appuyer une première réalisation concrète de cette nouvelle monnaie mondiale commune, appelée à évoluer sous le seul égide de l’ONU.  De quoi se donner des moyens pour surmonter les défis économiques, sociaux ou environnementaux majeurs auxquels le monde est confronté et dont la résolution est devenue si cruciale pour la survie même de l’espèce.

Il est encore bien trop tôt pour spéculer sur le contenu que les BRICS veulent donner à leur propre projet d’union monétaire. Les écueils sur le chemin d’une telle entreprise sont nombreux :  La nouvelle devise destinée à stimuler les échanges entre BRICS et au-delà va-t-elle fonctionner comme une sorte de grande zone yuan pour se prémunir d’une logique de blocs à laquelle s’emploie Washington quand il invoque le «découplage» d’une Chine décrétée ennemi public numéro un ? Les BRICS vont- ils avoir l’audace d’aller plus loin et d’avancer un projet à vocation universelle ? Rien n ‘est encore écrit mais la question promet de tarauder le débat public. Surtout si d’autres acteurs, dans l’Amérique latine progressiste qui entend lancer sa propre monnaie commune, ou en Europe, avec les communistes français, se mêlent de ce débat en montrant son lien avec les besoins de ruptures globales auxquels l’humanité est si urgemment  confrontée. 

Ce combat-là est complémentaire, voire indissociable, de celui pour la paix auquel les militants du PCF sont viscéralement attachés quand ils refusent l’escalade dans la guerre programmée par l’Otan et par Moscou, quand ils proposent de de quitter l’Alliance atlantique et ses surenchères militaires pour répondre vraiment au défi de l’organisation d’une sécurité collective, à l’échelle de l’Europe et de la planète. Pour que  cesse la funeste prospérité financière des oligarques de l’armement de tous pays. 

Le retour de la diplomatie, la proclamation d’un cessez le feu puis l’entrée dans une processus de paix en Ukraine passent par la convocation d’une conférence européenne incluant la Russie. Le salutaire précédent de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) avec la mise en œuvre de « la détente » en lieu et place de l’escalade, au summum pourtant de la guerre froide au début des années 1980, doit être prolongé et élargi dans une dimension inédite. 

Il en va de cet indispensable système international de sécurité collective, comme d’une monnaie commune mondiale de coopération et de développement. Tous deux répondent  aux urgences absolues auxquelles est confrontée aujourd’hui l’humanité

Bruno Odent

  • (1) Voir Économie et politique 814-815 de mai et juin 2022 : « Berlin en marche pour un changement d’époque ultra-atlantiste » 

     (2) in L’humanité du 29 Mars 2023 

     (3) Révélations dans le Spiegel daté du 18 février 2022 d’un document d’archive où les ministres des affaires étrangères des Etats-Unis, de France, du Royaume Uni et d’Allemagne s’engageaient en 1991 auprès de leur homologue soviétique « à ne pas étendre l’Otan au-delà de l’Elbe. »

     (4) Le texte du plan chinois en 12 points est disponible sur le site de l’humanité.fr 

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L’Otan veut mettre en scène sa stratégie de l’escalade

Ukraine. Des avions de combat, des missiles de longue portée : l’Alliance atlantique entend présenter son projet de monter en gamme dans sa guerre par procuration avec la Russie, à la conférence sur la sécurité de Munich. Où les militants anti-guerre se mobilisent aussi.

Plus de cent chefs d’État et de gouvernement, dont le chancelier allemand, Olaf Scholz, et le président français, Emmanuel Macron, les poids lourds mondiaux de l’industrie de l’armement et les stratèges en chef de l’Alliance atlantique (Otan) sont attendus ces 17 et 18 février à la traditionnelle conférence sur la sécurité de Munich. Une occasion pour l’Otan de préciser l’évolution de sa stratégie en Ukraine.

La conférence aurait ainsi rien de moins qu’une mission de salut public mondial contre les autocrates de l’acabit de Vladimir Poutine, agresseur de l’Ukraine, et «leur révisionnisme qui menace les démocraties», a lancé le patron de ce forum, Christoph Heusgen, un ex-conseiller d’Angela Merkel. De quoi revoir, au sein de l’Otan, toutes les règles, dit-il, en brandissant le rapport 2023 de la réunion intitulé « Re : Vision ». Une façon d’indiquer l’ampleur des efforts à accomplir dans la recherche d’un alignement maximum du monde. Des pays dits du « Sud global», réticents à leur emboîter le pas, ont été très démonstrativement invités à participer à la conférence. Pas sûr qu’ils se laissent séduire, sachant les dangers induits et le poids des contentieux qui demeurent entre l’Occident et les principaux pays émergents.
Quoi qu’il en soit, les militants de la paix veulent aussi se faire entendre à Munich. Une grande manifestation est prévue, ce samedi, dans les rues de la ville. Pour dénoncer l’impérialisme russe mais aussi celui de l’Otan et les risques de déflagration irréparable que nourrissent le bellicisme de Poutine comme la montée en puissance guerrière de l’Alliance. Des militants de dizaines d’ONG, comme Attac Allemagne, ou du seul parti antiguerre outre-Rhin, Die Linke, s’y sont donné rendez-vous.

Le périmètre du Bayerischer Hof, l’hôtel de luxe qui accueille la conférence, a été placé sous haute surveillance policière. Très symboliquement, jamais n’y fut enregistrée la présence d’une délégation états-unienne aussi considérable : Kamala Harris, la vice-présidente, Antony Blinken, le secrétaire d’État, Lloyd Austin, le secrétaire à la Défense, sont venus, entourés de plus d’une trentaine de membres du Congrès.

L’Élysée discourt sur sa volonté d’éviter
un « risque escalatoire»

Les nouvelles armes que réclame Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, promettent de constituer un temps fort du débat. Heusgen, le patron du forum, a d’ores et déjà annoncé la couleur : « Il faut fournir des avions de combat à Kiev » ; en dépit de la position du chancelier Scholz, peu enclin à céder à la surenchère après avoir longtemps hésité à accepter l’envoi de chars Leopard 2 sur le champ de bataille. Le chef du gouvernement allemand veut préserver son pays d’une confrontation directe avec la Russie et maintenir « au moins un contact avec le Kremlin ». À l’Élysée, on fait valoir aussi, de façon plus discrète, une volonté d’éviter un « risque escalatoire », tout en ne cachant pas sa frustration de voir s’évanouir les ambitions d’une « Europe de la défense » plus autonome et carénée par les champions tricolores de l’armement. Quand Berlin consacre – en vertu du changement d’époque annoncé par le chancelier – 100 milliards d’euros supplémentaires à la Bundeswehr, l’armée allemande, qu’il veut propulser au troisième rang mondial. Tout en passant quasi exclusivement commandes aux géants états-uniens Lockheed Martin et Boeing, plutôt qu’à Dassault et Airbus.

Les partisans d’une implication toujours plus forte de l’Otan se promettent d’infléchir le reste de réserves franco-allemandes. L’attitude des plus ultras, comme les gouvernants polonais, dont le pays est présenté comme le meilleur élève du surarmement (4 % de son PIB), est traitée avec beaucoup de complaisance. Si ce n’est montrée en exemple. Oubliées les récriminations de tous ceux qui s’émouvaient, il y a peu de temps, jusqu’au sein de l’UE, du caractère « illibéral » de la droite polonaise au pouvoir.

La dangereuse émergence d’une logique d’affrontement interimpérialiste

Ces super-atlantistes peuvent compter sur l’appui de personnalités locales, comme l’organisateur allemand de la conférence. Mais aussi sur des figures de la coalition tripartite aux affaires à Berlin comme la ministre allemande verte des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. En pleine polémique sur le bien-fondé de livrer des chars Leopard 2 à Kiev, ne s’est-elle pas exclamée, à l’occasion d’une rencontre au Conseil de l’Europe à Strasbourg : « Nous menons la guerre contre la Russie, pas entre nous. » Un abus de langage dans le feu de la conversation en anglais, a-t-elle plaidé, un peu plus tard. Sans vraiment convaincre tant elle appuie ouvertement, depuis des semaines, l’envoi d’armes lourdes supplémentaires à Kiev.

De quoi approfondir une ligne de fracture à Berlin entre ministère des Affaires étrangères et chancellerie, au point de renvoyer sine die la création d’une nouvelle instance allemande dévouée à la « stratégie de sécurité nationale », qui devait être présentée à Munich, à la veille de la conférence. Les querelles au sein du gouvernement allemand, si elles alimentent toutes les spéculations sur la survie de la coalition au pouvoir, épousent aussi des dissensions stratégiques plus larges au sein de l’Otan.

Présent à Munich, le géant allemand de l’armement Rheinmetall, fabricant des chars Leopard 2, n’est pas franchement du côté des « tièdes ». Son PDG, Armin Papperger, se dit favorable à la livraison à Kiev, non plus seulement de Leopard 2 mais de ses blindés dernier cri, Lynx et Panther. Et envisage même la création, dans le journal économique Handelsblatt, d’une usine en Ukraine pour les fabriquer. Pas sûr qu’une telle sortie contribue à détendre le climat avec Moscou, tant elle illustre la dangereuse émergence d’une logique d’affrontement interimpérialiste, relevé par l’historien communiste français Jean-Paul Scot, dans la revue Commune.

Il est temps d’arrêter la course à l’abîme d’une troisième guerre mondiale qui fait planer une «menace existentielle sur l’humanité», dénoncent les organisateurs de la manifestation anti-guerre de ce samedi 18 février, à Munich. Ils réclament «un cessez-le-feu et des négociations immédiates ». La seule voix praticable, celle de la raison.

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Les fonctionnaires allemands ne lâchent rien sur les salaires

POUVOIR D’ACHAT Face au refus de négocier des représentants de l’État fédéral et des collectivités, le conflit se durcit outre-Rhin dans toute la fonction publique. Une inhabituelle grève reconductible est en préparation à la Poste.

Le mécontentement s’amplifie en Allemagne contre les fortes pertes de pouvoir d’achat, su-bies, de longue date, par le monde du travail, et gravement accentuées par une inflation qui frise les 10 %. Les grèves dites d’avertissement déjà lancées dans la fonction publique (lire notre édition du 26 janvier) s’intensifient ces derniers jours à la suite de l’échec persistant des négociations tarifaires. De nouveaux mouvements d’avertissement ont été enclenchés dans tous les secteurs, et en particulier dans le transport aérien. De grands aéroports comme ceux de Munich, Francfort ou Hambourg ont dû annuler presque tous leurs vols. Dans la capitale bavaroise tandis que le trafic « ordinaire » était quasiment paralysé le 18 février; cela a conduit au déclenchement de mesures d’exceptions pour que soient accueillis, au même moment, envers et contre tout, les participants internationaux au grand happening, organisé sur place, de la montée en puissance de l’Otan dans la guerre en Ukraine. 

Les salariés de la fonction publique revendiquent 10,5 % d’augmentation. Une hausse des rémunérations considérée comme « irrecevable » par les pouvoirs publics (communes, Länder et État fédéral ), qui invoquent des rentrées insuffisantes en raison du ralentissement économique ou prétextent les seuils légaux dits du frein à la dette par lesquels l’austérité la plus stricte est inscrite dans le marbre de la Constitution.

« LE MANQUE DE PERSONNEL EST DEVENU CRIANT »

Les salariés des services publics, soit plus de 2,5 millions de personnes, n’entendent pas s’en laisser conter. Avant même la récente explosion des hausses de prix et des coûts de l’énergie en lien avec la guerre en Ukraine, ils déploraient déjà une constante érosion de leur pouvoir d’achat. « Les loyers ont plus que doublé en dix ans dans les grandes métro- poles, comme ici à Berlin », relève ainsi Hannelore Steiner, éducatrice dans la capitale allemande.

La coupe est d’autant plus pleine que la charge de travail, elle, ne cesse de croître. Pour une raison simple, pointe un dirigeant national du syndicat VerDi des services : « Le manque de personnel est devenu criant, en particulier dans les jardins d’enfants, les hôpitaux et les centres de santé, mais aussi chez les pompiers professionnels. » Toutes catégories confondues ce sont, selon VerDi, 300 000 em- plois qui manquent à l’appel au niveau national. Il s’agit d’un « véritable enjeu de société, il faut davantage de personnels, mieux payés pour l’affronter », lance Christine Behle, vice- présidente de VerDi.

À la Poste où les négociations tarifaires sont bloquées depuis plus longtemps encore, le syndicat a lancé une consultation de ses adhérents pour le démarrage d’une grève reconductible, une forme d’action très rare, quasi taboue dans la vie sociale d’un pays où la sacro-sainte recherche d’un compromis est censée constituer une règle indépassable. Mal payés et souvent soumis à du temps partiel non désiré, les salariés du service postal national contrôlé par le géant privé Deutsche Post DHL sont à bout. Ils revendiquent 15 % d’augmentation et ont déjà multiplié des mouvements de grève dits d’avertissement, à l’origine de très importants retards dans la distribution du courrier et des colis.

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1993: l’ouverture du marché unique, étape clé de la course à l’euro

Pour lancer le marché unique, préalable à la monnaie unique, le pouvoir mitterrandien qui cultive une pensée unique libérale sous couvert d’intégrer l’Allemagne, va mettre en fait l’Europe et la France dans la tenaille du monétarisme et de l’ordo-libéralisme allemand (in l’humanité du 6.01.2022).

L’année 1993 marque un moment crucial pour l’architecture de l’Union Européenne (UE), telle que nous la connaissons aujourd’hui. Le 1 er janvier de cette année-là, il y a exactement 30 ans, est lancé le marché unique européen. Aux manettes politiques le couple franco-allemand, Mitterrand-Kohl et à Bruxelles, Jacques Delors, président de la commission européenne. 

En vertu de l’aboutissement d’un acte unique, adopté dès 1986,  les capitaux, les marchandises, les services et les travailleurs peuvent désormais « circuler librement » sur tout l’espace géographique de l’UE. Un préalable indispensable au lancement, à la fin de la décennie, de l’euro, dont le principe et le calendrier viennent d’ailleurs d’être adoptés quelques mois plus tôt à Maastricht. 

Pour mettre chacun des états-membres au diapason tout un arsenal de mesures contraignantes, inspirées essentiellement par le patronat et le monde de la finance, a été déployé. En France la soumission à cette logique d’inspiration libérale garantie par un implacable corset monétaire, a déjà 10 ans. Son déploiement a commencé dès 1983 avec le tournant dit de la rigueur de François Mitterrand. Depuis lors Paris a l’œil rivé sur une politique dite de désinflation compétitive.   «En écrasant encore plus la demande sociale et les salaires chez soi, Il s’agit, explique dans l’humanité le journaliste , Okba Lamrani, de gagner des parts de marché chez le voisin.»L’austérité est considérée comme la seule voie possible pour raccrocher la France aux wagons du deutsche Mark et de la performante industrie exportatrice ouest-allemande. 

La nécessité d’ordonner une potion aussi amère au peuple français est alors partagée et théorisée par la « miterrandie », ce vaste aéropage de dirigeants socialistes allant de l’aile droite à l’aile gauche du parti au pouvoir,  de Michel Rocard à Jean Luc Mélenchon. 

Cette machine à laminer salaires et services publics va s’emballer au tournant des années 1990. A l’origine, une priorité géostratégique à laquelle va se cramponner l’Élysée: François Mitterrand a échangé Maastricht contre la réunification, le ralliement de Paris à l’unité allemande, telle que décidée par Bonn, contre l’intégration de l’Allemagne dans le marché et la monnaie unique européenne à la fin de la décennie. 

Même pas peur, avait répond Kohl qui aura d’autant moins de mal à accepter ce marchandage qu’il saisira très vite comment il pouvait le retourner. Jusqu’à en faire un moyen de chantage pour signifier en permanence: ou bien Paris accepte de se soumettre toujours plus à la logique monétariste et ordo-libérale de Bonn, ou bien l’Allemagne joue sa propre partition. 

Résultat : les autorités françaises s’enfoncent dans des politiques toujours plus restrictives alors même que le pays entre fin 1992 dans l’une des plus sévères récessions de l’après-guerre (- 1,7% de croissance en 1993 et près de 11% de chômeurs). 

Au sein du Système Monétaire Européen (SME) et au cabinet de Pierre Bérégovoy, le Premier ministre français, c’est la panique. Les taux de changes sont malmenés. La lire italienne et la livre britannique sont expulsées du SME. Pesetas espagnole et escudo portugais sont dévalués. Le franc décroche très fort du deutsche Mark. 

La banque de France qui aurait du, en toute logique, réduire ses taux pour soulager l’économie française, maintient le cap du « franc fort » contre vents et marées. 

Loin de se montrer accommodante la Bundesbank en rajoute. Elle  augmente ses taux – ils sont passés de 4,3% en 1988 à 9,5% en 1992 – considérant que l’économie allemande est en surchauffe (plus de 5% de croissance en 1990 et en 1991) et qu’elle doit combattre une inflation mesurée alors outre Rhin à 5,6% . La priorité d’Helmut Kohl, est de financer une réunification, ou plus exactement une annexion de l’ex RDA qui a permis aux grands groupes ouest-allemand d’élargir leur « marché intérieur» à près de 20 millions d’habitants et de mettre la main sur quasiment toute l’économie de l’Allemagne orientale. 

Une telle logique monétariste sera payée au prix forts par les salariés allemands des deux côtés de l’ex rideau de fer. Mais de ce côté-ci du Rhin les travailleurs ne sont pas logés à bien meilleure enseigne. Compte tenu de l’inflexible arrimage du franc au Deutsche Mark, ils paieront une partie de l’addition géante de l’engloutissement de la RDA. Le seul solde des pertes subies alors par l’économie française à l’export compte tenu de la flambée des coûts du capital – ils vont grimper au rythme des taux d’intérêts français qui ont culminé à près de 12% en 1992 –  est chiffré à 50 milliards de francs par une étude de la caisse des dépôts et consignation (1). 

Les redoutables errements stratégiques de la France mitterrandienne visant à tout subordonner à la mise en place d’un marché unique, si inspirée en fait par Kohl et les marchés financiers, se sont ainsi payés au prix fort. Ils font de 1993, année zéro de l’euro, un moment très noir pour la solidarité et la coopération dans l’UE. Pourtant toujours si nécessaire à l’avenir de l’Europe jusqu’à aujourd’hui…

Bruno Odent

  •  Étude de la caisse des dépôts et consignation, citée in Allemagne état d’alerte, Laurent Carroué, Bruno Odent, L’Harmattan 1994 
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Le football dans les filets de la finance débridée  

Le sport le plus populaire de la planète est devenu l’aire de jeu du capitalisme mondialisé en crise, générateur de monstrueuses boursouflures financières comme d’inégalités record. Certains montants de transferts de joueurs sont convertis en titres de Bourse et font l’objet de toutes les spéculations. 

Rien n’est resté à l’écart de la monstrueuse tumeur financière de la mondialisation capitaliste. Surtout pas le football. Le scan- dale de la Coupe du monde au Qatar est le symptôme d’une terrible affection qui mine la santé de la planète comme de ce sport le plus populaire, livré à la financia- risation. Il en résulte, comme dans la gazo- monarchie, les pires crimes sociaux et environnementaux contre l’humanité. 

Le phénomène de la financiarisation du foot a démarré doucement « il y a quarante ans », expliquent deux éminents spécialistes du sujet, les économistes Jérémie Bastien (Reims) et Pau Lopez Gaitan (Barcelone). Puis s’est accéléré, « jusqu’à devenir aujourd’hui une des marques es- sentielles du foot professionnel ». Le poids du Qatar sur le foot et l’industrie du spectacle qui lui est associée sont propor- tionnels à la suraccumulation financière réalisée par l’émi- rat grâce aux gains tirés des hydrocarbures. Obéissant aux mêmes réflexes que leurs collègues de la petite confrérie mondiale des gros détenteurs de capitaux, champions de Wall Street ou du CAC 40, les féodaux du petit pays du golfe ont placé leurs mégaprofits pour servir le court terme, la spé- culation, le retour rapide sur investissement. 

Comment en est-il arrivé là ? En Europe, berceau de ce sport, l’engrenage est enclenché par la libéralisation des transferts de joueurs au milieu des années 1990. Un arrêt de la Cour européenne de justice en faveur du joueur belge Jean-Marc Bosman, au nom de la liberté de circulation des travailleurs dans l’UE, va permettre de lâcher la bride au foot business. Toute régulation est abandonnée, notam- ment celle limitant à 3 le nombre de joueurs étrangers évoluant dans une équipe de club d’un des États membres. 

Le « mercato » des transferts européen voit rapidement le montant de ses transactions évoluer selon une courbe exponentielle. Les clubs s’endettent lourdement pour attirer les meilleurs talents. Les marchés financiers entrent alors sur le terrain en leur offrant leurs services avec les moyens de conclure de somptueux recrutements. « Ils vont débloquer les fonds. Mais, bien entendu, ce n’est jamais sans contrepartie», relève le jeune économiste catalan Pau Lopez Gaitan. Des acteurs, jusqu’aux plus spéculatifs, vont accéder toujours davantage au poste de pilotage des clubs professionnels. « Avec un seul critère, celui de la rentabilité financière », précise Lopez Gaitan. 

Une faune d’agents et de juristes de haut vol

Tout un réseau de plus en plus dense d’agents, tout à la fois marchands de joueurs, de leur image, gestionnaires de leurs intérêts et souvent juristes de haut vol, s’est ainsi installé dans le monde du foot. Ils agissent individuellement ou, de plus en plus souvent sous forme de sociétés spécialisées, issues elles-mêmes directement du monde de la finance. 

En parallèle, surfant sur l’immense popularité de ce sport, toute une industrie du spectacle sportif investit les lieux. Les retransmissions sont partiellement privatisées. Les droits télé flambent. Principale source de revenus des clubs, ils deviennent la cible de toutes les convoitises et la clé de voûte d’un système. 

Les plus grands clubs européens se transforment en multinationales avec les logiques prédatrices afférentes. Manchester City, le géant britannique aujourd’hui détenu par les Émirats arabes unis via Abu Dhabi United Group, au top de cette banalisation actionnariale, possède ainsi au moins un club sur chaque continent (dont Troyes en France). Ce qui lui per- met de monopoliser les talents en devenir. La valeur des joueurs se mesure aussi selon les règles d’une Bourse des valeurs. Fondé en Allemagne, le site Transfermarkt (marché des transferts) est devenu une référence internationale incontournable pour mesurer l’évolution de la cote des footballeurs et des clubs. Les traders appelés à négocier la valeur des transactions sur le mercato européen ont l’œil fixé sur lui en permanence. 

Les gros emprunts portant sur l’acquisition d’un joueur sont titrisés. « C’est l’une des principales marques de la financiarisation du football », relève Pau Lopez Gaitan. Cette mécanique permet de partager le plus largement possible une levée de fonds qui peut être considérable quand elle vise des étoiles mondiales de la discipline. « Les joueurs deviennent des petites parts d’un gros gâteau boursier », précise l’universitaire catalan. La titrisation est créée pour répondre aux besoins d’une valorisation financière dont on attend qu’elle enfle considérablement et très vite. 

« La flambée des droits télé est une aubaine de ce point de vue. Car elle permet de satisfaire la promesse d’un marché en ascendance perpétuelle », explique Pau Lopez Gaitan. Mais cette belle mécanique possède déjà un terrible passif. Au tournant des années 2000, des prêts hypothécaires ont ainsi été titrisés aux États- Unis. Le marché de l’immobilier, promis à une hausse continue et substantielle, devait garantir l’équilibre de l’édifice. Jusqu’au jour où les ventes de logements se sont affaissées aux États-Unis. La brusque dévalorisation des titres provoqua un krach mondial en 2008. Terrible envers du décor : des millions d’accédants à la propriété aux revenus modestes ont été condamnés à la misère du jour au lendemain, jetés à la rue au sens propre du terme par les gros détenteurs de titres, généralement de grandes banques. 

L’enthousiasme des plus jeunes miné par une éthique corrompue


Pour se prémunir d’une nouvelle crise, on se jura, au tournant des années 2010, de s’interdire de toucher aux outils qui avaient conduit à l’exubérance, puis à la dégringolade financière. Rien n’y fit. Tout a continué comme avant. La preuve par… le football. 

La pandémie de Covid a réuni les conditions d’un écroulement de ce bel édifice spéculatif sur le monde du ballon rond. Avec les annulations de matchs pendant plusieurs mois, suivis de stricts huis clos, la cote des meilleurs joueurs comme celle des droits télé s’effondrent. 

Les banques centrales et les pouvoirs publics dans les capitales européennes vont réagir, mais pas pour se saisir de l’occasion d’assainir les mœurs du foot professionnel. À l’inverse, ils vont s’appliquer à renflouer les agioteurs du système et à leur donner les moyens de repartir de plus belle. Jérémie Bastien, spécialiste de l’économie du sport, démontre combien « la pandémie, loin d’avoir interrompu la financiarisation en cours, l’a au contraire accélérée » (1). Il s’appuie sur les évolutions très concrètes observées en Europe ces deux dernières années. Comme cette récente prise de contrôle partiel des ligues de foot française et espagnole par le fonds luxembourgeois CVC. 

La fuite en avant pratiquée pour le foot professionnel rejoint ce qui fut la règle à l’égard de l’économie réelle pour affronter la crise née du Covid. Les soutiens des États et le crédit gratuit déversé par les banques centrales sur les marchés financiers – sans aucune condition, sans sélectivité sur la qualité des investissements à mettre en œuvre – ont boosté encore davantage le court terme et les opérations les plus immédiatement rentables financièrement, les plus étroitement mercantiles pour le foot, les plus éloignées des besoins de l’humanité pour l’économie en général.
Ils ont porté à incandescence le foot business jusqu’à lui faire courir un risque d’embolie. Comme ils ont perfusé les milliardaires du Dow Jones ou du CAC 40, faisant émerger, en quelques mois, un monde où les oligarques du capital n’ont jamais été aussi riches et aussi nombreux, relève un rapport de l’ONG Oxfam (lire l’édition de l’humanité du 24 mai). En favorisant les placements les plus spéculatifs, ils ont miné l’éthique du sport et gravement entamé son meilleur atout, sa capacité à mobiliser l’enthousiasme et les rêves des plus jeunes. Ils ont aussi créé un terrible décalage entre les investissements utiles et ceux réservés à des opérations dévouées à shooter les performances de la finance. Résultat : il s’est creusé un déficit d’investissements abyssal dans ces biens communs en services publics et sportifs, en emplois, en formations et en grandes initiatives nationales et internationales pour le climat. 

La création monétaire et les flots de crédits gratuits déversés font pschitt aujourd’hui comme l’air des ballons de baudruche financiers surgonflés, qui se vident à grande vitesse les uns après les autres. Tel, par exemple, celui des cryptomonnaies qui éclate sous l’effet de la faillite de FTX, plateforme géante de monnaie virtuelle, paradis des faussaires du Web et des virtuoses du blanchiment d’argent. Cette spectaculaire contraction de l’enflure spéculative est l’une des principales causes de l’inflation. Elle nourrit le ralentissement général de l’activité bien davantage encore que la guerre en Ukraine et menace très sérieusement de se traduire dans les mois qui viennent par une récession planétaire. Les millions de pratiquants du foot et de passionnés du spectacle sportif ont besoin de reprendre les rênes de leur discipline à la dérive. Comme les salariés de conquérir des pouvoirs sur les féodalités du capital. Le ballon rond comme l’humanité méritent un autre Mondial et un autre monde. 

(1) Jérémie Bastien : « Effets mésoéconomiques de la crise de la Covid-19 » (In Revue de la régulation – Capitalisme, institutions, pouvoirs). 

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Une guerre produit d’un choc des empires dans le capitalisme mondialisé

Patrick le Hyaric, l’ex directeur de l’humanité, décortique les causes de la guerre en Ukraine, toutes les causes, celles qui accablent Poutine mais aussi les autres, pointant les responsabilités  de Joe Biden qui entend restaurer la suprématie de l’hyperpuissance US (in l’humanité.fr).

La guerre étend ses ravages depuis plus de 6 mois sur l’Ukraine, avec son cortège de sang, de destructions et de souffrances. Comment en est-on arrivé à cette sinistre réminiscence en Europe? Peu se sont risqués à en disséquer les raisons pour  donner à comprendre ce qui se joue alors que déferle un flot de commentaires, confondant analyse et propagande de guerre. Patrick le Hyaric fait œuvre utile en se risquant sur ce terrain.

L’ex directeur du journal l’humanité publie « Les raisons de la guerre en Ukraine »  un ouvrage (1) où il dissèque le conflit et ses racines systémiques. La responsabilité du capitalisme est à tous les étages, démontre-t-il, mettant en exergue cette observation de Jaurès: «le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. » 

Les  motivations de l’agresseur, Vladimir Poutine, s’en laissent déduire. L’auteur met en relation sa fuite en avant dans un nationalisme «grand russe», au moment où s’aiguise la crise d’un système parmi les plus prédateurs de la planète. Le choix de tout centrer sur l’exploitation des hydrocarbures, si lucrative pour les oligarques, pénalise le développement général. Une pauvreté endémique ravage le pays. Pour donner le change « le tsar » écrit Le Hyaric, va pratiquer une fuite en avant identitaire et nationaliste si proche des thèmes des droites extrêmes européennes. S’il convoque souvent le souvenir de la puissance du soviétisme, il déploie un anti-bolchevisme à toute épreuve, quand il reproche à Lénine et aux siens d’être à l’origine d’une république soviétique ukrainienne qui heurte aujourd’hui ses prétentions territoriales.

Mais la guerre illustre aussi un choc des empires. Les Etats-Unis et leurs alliés ont renié l’engagement donné à Gorbatchev, à la chute du mur en 1989, de ne pas étendre le périmètre de l’Otan. Ce qui n’a pas manqué de nourrir la fièvre du Kremlin. Joe Biden s’est saisi de la réplique à Poutine comme d’une aubaine pour réhabiliter l’interventionnisme de l’hyper puissance dont il proclama au début de son mandat qu’elle avait vocation à «régir le monde». Il impulse une fuite en avant dans le surarmement, y compris nucléaire, comme instrument de la réhabilitation d’une suprématie US contestée au sein d’une mondialisation en crise.    

Le très puissant lobby militaro-industriel états-unien est comblé. Les alliés européens de l’Otan s’alignent et lui achètent, comme l’Allemagne, une profusion d’armes sophistiquées. Et le conflit ukrainien sert de banc d’essai à une guerre en puissance avec la Chine, l’ennemi qu’il faut terrasser pour que l’impérialisme US retrouve tous les leviers de commande. 

L’Ukraine présente, au passage, l’intérêt de receler dans son sous-sol, outre d’immenses réserves de gaz, du lithium, du cobalt, du titane et nombre de ces métaux rares, si stratégiques dans les productions de matériaux numériques ou de batteries. De quoi alimenter les convoitises des oligarques états-uniens. 

Comment arrêter ces engrenages potentiellement destructeurs du genre humain ? Patrick Le Hyaric plaide l’instauration d’un « pacte mondial pour une sécurité humaine globale.» Il avance le besoin  «d’une révolution civilisationnelle » pour « dépasser le capitalisme» et ses travers mortels. L’Europe, relève celui qui fut député européen de 2009 à 2019, peut tourner le dos aux tambours de la compétition et de l’affrontement. Elle possède les moyens  de s’engager contre la loi du roi dollar, cet autre arme de destruction massive des Etats-Unis. Il en va de la réussite des transitions d’urgence à mettre en œuvre pour la paix comme pour le climat et la justice sociale. Une démocratie poussée bien plus loin qu’elle ne l’a jamais été, un communisme d’autant plus actuel et opérant qu’il existe déjà dans nombre de conquêtes, fournit le moyen de cette vitale subversion. 

Bruno Odent

  • (1) « Les raisons de la guerre en Ukraine », Patrick Le Hyaric, éditions de l’humanité, 236 pages, 12,50  euros  
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Un bras de fer allemand à l’issue cruciale pour l’Europe

Face à la frénésie va-t-en-guerre qui déferle sur le pays, amplifié par un parti écologiste rhabillé en vert olive, des intellectuels, des pacifistes, des Verts dissidents et le philosophe Jürgen Habermas se mobilisent.

Depuis plusieurs semaines, l’Allemagne est l’objet des pressions internes et externes les plus fortes pour livrer toujours plus d’armes lourdes à l’Ukraine. Le chancelier, qui y a longtemps résisté, a finalement décidé d’y répondre partiellement en autorisant l’expédition de chars Gepard munis de système de défense antiaérienne. Mais le harcèlement continue. Dans les médias, au Bundestag, où Friedrich Merz, le nouveau patron ultra- conservateur de la CDU, se répand, avant un déplacement à Kiev, en surenchères exigeant un plus fort engagement militaire allemand sur le terrain. Surtout, le chancelier est appelé à en faire toujours davantage par ses alliés libéraux et verts de la coalition gouvernementale. Ce qui a fait sortir de ses gonds, ces tout derniers jours, un mouvement pacifiste allemand jusque- là paralysé mais déterminé désormais à tenir un bras de fer sur cet enjeu crucial.

Une normalisation super-atlantiste

Les dirigeants et ministres écolo- gistes sont particulièrement en pointe sur la normalisation super-atlantiste de l’Allemagne. En pleine cohérence avec la ligne adoptée durant la récente campagne pour l’élection du Bundestag par Annalena Baerbock, la candidate des Verts à la chancellerie, devenue entre- temps ministre des Affaires étrangères. Elle qui développa une rhétorique lourde en pleine harmonie avec celle de Joe Biden sur les autocraties. Ce qui la conduisit à plaider la nécessité d’un « changement de cap » pour une démocratie allemande quiferait preuve d’une «trop grande complaisance » avec ces régimes. Et de cibler alors surtout la Chine, premier partenaire commercial de l’Allemagne.

Depuis la guerre en Ukraine, la ministre et la direction des Verts ont mis les bouchées doubles. Ils se revendiquent d’un «changement d’époque» (Zeitenwende) pour l’Allemagne, annoncé par Berlin dès le 27 février. La formule vaut sur tous les plans. Politique et économique, avec un formidable renforcement de la relation Berlin-Washington. Et sur le plan militaire, avec la dotation supplémentaire de 100 milliards d’euros attribuée à l’armée fédérale, la Bundeswehr, soit bien au-delà des 2 % du PIB exigés par l’Otan.

Les Verts à l’offensive sur le terrain militaire

La métamorphose la plus radicale se produit chez Die Grünen (les Verts), nés, il y a quarante ans, des immenses rassemblements pacifistes contre le déploiement, en pleine guerre froide, des missiles états-uniens Pershing sur le territoire de l’Allemagne de l’Ouest. Au point que le magazine Der Spiegel met cette semaine à sa une « des écologistes vert olive », avalisant non seulement une hausse sans précédent du budget militaire, mais plaidant plus fort que les autres lors d’un mini-congrès, fin avril, pour la livraison des armes lourdes les plus sophistiquées. Comme ces Panzer Leopard qu’opportunément le fabricant, le groupe Rheinmetall, se dit prêt à livrer rapidement à Kiev, moyennant une formation des soldats ukrainiens sur le territoire allemand.

Ces derniers jours cependant, une forte réaction est enfin venue contre la poursuite de cette fuite en avant va-t-en- guerre. Au sein du parti vert, quelques courageux refusent de se joindre à la litanie du surarmement entonnée par leur direction. Tel Philipp Schmagold, une figure militante du Land de Schleswig-Holstein, qui s’interroge : « Qu’aurait-on pu faire pour le climat, le social ou les services pu- blics avec les 100 milliards accordés à la Bundeswehr ? » Mais de telles personnalités semblent, hélas, devenues très minoritaires dans le parti.

En revanche, une lettre ouverte au chancelier lancée par 28 intellectuels et artistes pour que Berlin renonce à envoyer davantage d’armes lourdes en Ukraine fait énormément de bruit, dépassant en seulement quelques jours le seuil des 200 000 signatures. Elle demande au chancelier Scholz de rester sur sa position initiale et « d’éviter le risque d’un élargissement de la guerre à toute l’Europe, voire d’une Troisième Guerre mon- diale ». Et plutôt que de se laisser entraîner dans une escalade militaire, de contribuer « à ce que l’on en vienne aussi vite que possible à un cessez-le-feu, à un compromis que les deux côtés puissent accepter ».

Le grand philosophe Jürgen Habermas est sorti également de sa réserve pour crier « casse-cou » et dénoncer, dans un article paru dans la Süddeutsche Zeitung, « une frénésie au ressort exclusivement émotionnel » qui pourrait avoir les plus graves conséquences. En dépit d’« écolos vert olive », le pacifisme allemand n’a pas dit son dernier mot. Crucial et vital pour l’avenir de l’Europe et de l’humanité.

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Allemagne: l’alignement atlantiste vaut bien une giga-imposture écolo

Dans la foulée de l’inauguration en grandes pompes, le 22 mars, de l’usine géante Tesla près de Berlin, le chancelier Scholz et les autorités allemandes multiplient les actes d’allégeance à Washington et à Elon Musk, ce roi de tous les oligarques.(in l’Humanité du 23 mars 2022)

Pressée de se détourner rapidement de sa dépendance au gaz russe, l’Allemagne choisit de serrer les rangs derrière Washington. L’inauguration en grande pompe, mardi 22 mars, de la giga-factory (l’usine géante) de voitures électriques Tesla à Grünheide dans les environs de Berlin constitue une illustration forte de ce changement de pied. Sans égard pour les partenaires européens.
Le chancelier Olaf Scholz et son ministre de l’Économie dite durable, Robert Habeck (Verts), ont célébré le démarrage des chaînes de production et la sortie des premiers véhicules SUV, modèles Y de l’usine. Des objets roulants facturés aujourd’hui à 60 000 euros pièce. « L’Allemagne accélère son passage à la mobilité électrique », a voulu croire le chancelier en accueillant un Elon Musk tout sourires.

Tenue à bonne distance des célébrations officielles, une manifestation, convoquée par l’initiative citoyenne écologiste à Grünheide, protestait au même moment contre la « capitulation des autorités régionale et nationale». La giga-factory va pomper jusqu’à 1,4 million de mètres cubes d’eau par an, ce qui augure de dangereuses tensions pour la sécurité des approvisionnements de ce précieux liquide aux habitants de la région. D’autant plus que Tesla va mettre en service, à côté des chaînes de production, la plus importante usine de batteries d’Europe dont les infrastructures sont déjà quasiment achevées.

Un processus de fabrication très énergivore

L’imposture écologique ne tient pas seulement à l’extrême voracité aquatique de l’ensemble. Mais surtout à la prétendue raison d’être des véhicules électriques produits, présentés comme incontournable moyen de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il faudrait en effet, selon une enquête du site écologiste Reporterre, qu’une auto électrique parcoure plus de 100 000 kilomètres avant de pouvoir afficher un bilan carbone analogue à ceux des véhicules à essence ou hybrides du même type. Pour une raison simple : son processus de fabrication est très énergivore, en particulier celui des grosses batteries incorporant lithium et métaux rares. D’autre part, l’électricité qui va alimenter les chaînes de fabrication présente outre-Rhin le grave défaut d’être très carbonée. Et cela va s’aggraver.

Le lignite constituait en effet déjà en 2021 l’élément principal du mix électrique allemand. Or ce charbon primaire est, de très loin, le plus sale de tous les combustibles fossiles. Avec la guerre en Ukraine, la raréfaction des approvisionnements en gaz naturel russe et la décision maintenue de tourner définitivement le dos, fin 2022, au nucléaire, énergie pourtant quasi dé-carbonée, un recours plus important au lignite est présenté comme inéluctable par le ministre Habeck lui-même. À la différence de l’éolien et du solaire, par définition intermittents, les centrales thermiques au lignite sont en effet pilotables et permettent de garantir un maintien des installations sous tension, indispensable pour éviter des pannes sur le réseau, voire ce cauchemar que constituerait un black-out.

Un réseau électrique très carboné

Ainsi la giga-factory va-t-elle constituer elle-même l’équivalent d’une giga-soufflerie de carbone. Sans parler des futures modèles Y sortis de ses chaînes qui vont être forcément voués à s’alimenter en énergie sur un réseau électrique allemand très carboné.

L’ouverture du marché européen aux véhicules Tesla, si fortement mise en scène en Allemagne, est en fait parfaitement cohérente avec les démonstrations d’alignement de Berlin sur Washington, du sécuritaire à l’économie. Et peu importe que les partenaires européens en soient les victimes les plus directes et qu’Elon Musk, champion toutes catégories des oligarques de la planète capitaliste, en tire les plus grands bénéfices.

Ainsi OHB, une société allemande impliquée dans la fabrication de satellites, fait-elle, selon le magazine Challenges (1), le forcing pour transférer les prochains lancements de satellites destinés au programme de géolocalisation européen Galiléo sur les lanceurs de Space X, appartenant à un certain… Elon Musk. Et cela, alors que le défaut des lanceurs russes Soyouz, prévus dans l’opération, aurait dû logiquement conduire à un transfert de la commande vers la fusée européenne Ariane 6, prête à fonctionner à la fin de cette année ou au début 2023. L’Europe n’a pas vocation à devenir, n’en déplaise aux autorités allemandes, une filiale de l’Empire états-unien.

(1) « Ariane 6 : le coup de poignard de l’allemand OHB », challenges.fr

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Le forcing de Biden pour réinstaller l’hégémonie des États-Unis

Washington se joue de ses alliés européens sur le terrain militaire en les faisant participer au surarmement, mais aussi sur le terrain économique en s’emparant de nouveaux marchés énergétiques, quitte à les propulser vers la récession. (publié in l’humanité du 18 mars 2022)

Joe Biden entend bien instrumentaliser la guerre de Vladimir Poutine pour rétablir l’hégémonie de son pays. Cela se traduit par une nouvelle débauche de dépenses militaires faisant des États-Unis, et de loin, l’acteur essentiel de la dangereuse course actuelle au surarmement. Mais Washington joue aussi d’une carte plus économique et financière pour se remettre en position de leader incontesté.

L’embargo décrété par la Maison- Blanche unilatéralement contre les importations d’hydrocarbures en provenance de Russie en constitue l’illustration la plus forte. Une telle décision n’affectera pas les États-Unis tant ils sont devenus quasiment autosuffisants à la faveur de l’exploita- tion des pétroles et gaz de schiste. Elle introduit en revanche une pression maximale sur les alliés européens, sommés de réduire très vite leur dépendance à la Russie, en particulier en matière d’approvisionnement en gaz.

La première des économies de l’Union européenne (UE), celle de l’Allemagne, la plus dépendante au gaz russe, est d’autant plus secouée qu’elle avait déjà mis un pied dans la récession. Mi- février, avant même le déclenchement du conflit, un rapport de la Bundesbank, la banque fédérale allemande, pointait que la croissance serait négative outre- Rhin au premier trimestre 2022, comme elle l’avait été les trois mois précédents. Soit la mesure signalant l’entrée d’un pays en récession.

« La stagflation guette l’Allemagne »

La Bundesbank se voulait rassurante : ce sera un « simple trou d’air » avant une reprise vigoureuse. Sauf que la guerre a surgi et accru toutes les difficultés. De nombreux économistes allemands anticipent désormais un sensible recul du PIB. Pour Marcel Fratzscher, le chef de l’institut de conjoncture berlinois DIW, « la stagflation guette l’Allemagne ». Entendez : la combinaison d’une inflation forte et d’une activité en berne. Et quand le moteur de la zone euro tousse, ce n’est naturellement pas sans ré- percussions sur le reste de l’UE, France comprise. Outre la flambée accentuée des prix du gaz

et de matières premières cruciales comme le nickel ou le palladium, la guerre aggrave les ruptures de stock déjà subies sur certaines chaînes de fabrication. Ainsi, des câbles automobiles que les géants allemands du secteur font fabriquer en Ukraine sont devenus introuvables. Résultat : BMW, Volkswagen ou Mercedes viennent d’annoncer des périodes de chômage technique.

Cet affaissement allemand et européen programmé n’est pas pour déplaire à Washington. Il regagne du terrain là où le Vieux Continent, ébranlé, marque sa soumission. C’est vrai sur le plan militaire quand l’Allemagne décide d’augmenter de 100 milliards d’euros ses dépenses et passe aussitôt commande aux géants de l’aéronautique et de l’armement états-uniens. C’est vrai aussi sur le plan économique quand Berlin annonce la création de terminaux méthaniers pour importer le gaz de schiste liquéfié made in USA en substitut du gaz naturel russe. Rétablir l’hégémonie des États-Unis, fût-ce en bousculant ses alliés, Trump en rêvait, Biden le fait.page1image26489648

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Ces F-35 qui illustrent le virage super-atlantiste de Berlin

Faisant le choix d’une allégeance sur-armée à la Maison-Blanche, le gouvernement d’Olaf Scholz se fournira auprès de l’états-unien Lockheed Martin pour renouveler sa flotte de chasseurs-bombardiers.

L’Allemagne confirme le contenu superatlantiste du virage entamé fin février, avec la dotation supplémentaire de 100 milliards d’euros accordée à la Bundeswehr – l’armée allemande. Berlin a passé un accord de principe avec l’avionneur états-unien Lockheed Martin pour une commande de trente-cinq F-35, le chasseur- bombardier dernier cri de l’armée américaine. Selon les estimations, il lui en coûterait la bagatelle de 15 milliards d’euros. Ces appareils sont destinés à remplacer les vieux Tornado de l’ar- mée de l’air allemande pour assurer sa mission dite de participation nucléaire au sein de l’Otan. Il s’agit pour l’Al- lemagne d’être en mesure d’envoyer sur zone, au cas où le commandement en chef de Washington et de ses alliés le déciderait, des avions capables d’y transporter et d’y lâcher les bombes atomiques états-uniennes B-61, stockées à Büchel (Rhénanie-Palatinat).

Une Allemagne soumise à la géopolitique des Etats-Unis

Cette annonce jette, pour le moins, un froid sur le projet de «défense eu- ropéenne » présenté par Emmanuel Macron aux 27, il y a quelques jours à Versailles, comme une garantie d’au- tonomie de l’UE. Même si le président français présente, à chacune de ses in- terventions, son projet comme « com- plémentaire », et non pas concurrent, de l’Alliance atlantique, le message adressé par Berlin est sans ambiguïté. Il prend le parti d’une Otan surarmée et encore plus étroitement soumise à la géopolitique des États-Unis. Ainsi,Dassault et les autres marchands d’armes français ne seront-ils pas les principaux bénéficiaires d’un « tournant militaire allemand », si apprécié de nombre de chroniqueurs hexagonaux. Le super-atlantisme de Berlin bénéficiera surtout aux firmes d’outre Atlantique comme Lockheed Martin.

On voit mal comment le projet européen de Système de combat aérien du futur (Scaf), dont Paris continue de faire grand cas, pourrait sortir un jour des cartons. Impulsé par Paris, Madrid et Berlin, il devait permettre l’ébauche d’un avion de combat ultraperformant à l’horizon 2040, avec Airbus et Dassault en position de copilotes. Pour les autorités allemandes, le commandant en chef du surarmement occidental, c’est Joe Biden et personne d’autre.

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