Un bras de fer allemand à l’issue cruciale pour l’Europe

Face à la frénésie va-t-en-guerre qui déferle sur le pays, amplifié par un parti écologiste rhabillé en vert olive, des intellectuels, des pacifistes, des Verts dissidents et le philosophe Jürgen Habermas se mobilisent.

Depuis plusieurs semaines, l’Allemagne est l’objet des pressions internes et externes les plus fortes pour livrer toujours plus d’armes lourdes à l’Ukraine. Le chancelier, qui y a longtemps résisté, a finalement décidé d’y répondre partiellement en autorisant l’expédition de chars Gepard munis de système de défense antiaérienne. Mais le harcèlement continue. Dans les médias, au Bundestag, où Friedrich Merz, le nouveau patron ultra- conservateur de la CDU, se répand, avant un déplacement à Kiev, en surenchères exigeant un plus fort engagement militaire allemand sur le terrain. Surtout, le chancelier est appelé à en faire toujours davantage par ses alliés libéraux et verts de la coalition gouvernementale. Ce qui a fait sortir de ses gonds, ces tout derniers jours, un mouvement pacifiste allemand jusque- là paralysé mais déterminé désormais à tenir un bras de fer sur cet enjeu crucial.

Une normalisation super-atlantiste

Les dirigeants et ministres écolo- gistes sont particulièrement en pointe sur la normalisation super-atlantiste de l’Allemagne. En pleine cohérence avec la ligne adoptée durant la récente campagne pour l’élection du Bundestag par Annalena Baerbock, la candidate des Verts à la chancellerie, devenue entre- temps ministre des Affaires étrangères. Elle qui développa une rhétorique lourde en pleine harmonie avec celle de Joe Biden sur les autocraties. Ce qui la conduisit à plaider la nécessité d’un « changement de cap » pour une démocratie allemande quiferait preuve d’une «trop grande complaisance » avec ces régimes. Et de cibler alors surtout la Chine, premier partenaire commercial de l’Allemagne.

Depuis la guerre en Ukraine, la ministre et la direction des Verts ont mis les bouchées doubles. Ils se revendiquent d’un «changement d’époque» (Zeitenwende) pour l’Allemagne, annoncé par Berlin dès le 27 février. La formule vaut sur tous les plans. Politique et économique, avec un formidable renforcement de la relation Berlin-Washington. Et sur le plan militaire, avec la dotation supplémentaire de 100 milliards d’euros attribuée à l’armée fédérale, la Bundeswehr, soit bien au-delà des 2 % du PIB exigés par l’Otan.

Les Verts à l’offensive sur le terrain militaire

La métamorphose la plus radicale se produit chez Die Grünen (les Verts), nés, il y a quarante ans, des immenses rassemblements pacifistes contre le déploiement, en pleine guerre froide, des missiles états-uniens Pershing sur le territoire de l’Allemagne de l’Ouest. Au point que le magazine Der Spiegel met cette semaine à sa une « des écologistes vert olive », avalisant non seulement une hausse sans précédent du budget militaire, mais plaidant plus fort que les autres lors d’un mini-congrès, fin avril, pour la livraison des armes lourdes les plus sophistiquées. Comme ces Panzer Leopard qu’opportunément le fabricant, le groupe Rheinmetall, se dit prêt à livrer rapidement à Kiev, moyennant une formation des soldats ukrainiens sur le territoire allemand.

Ces derniers jours cependant, une forte réaction est enfin venue contre la poursuite de cette fuite en avant va-t-en- guerre. Au sein du parti vert, quelques courageux refusent de se joindre à la litanie du surarmement entonnée par leur direction. Tel Philipp Schmagold, une figure militante du Land de Schleswig-Holstein, qui s’interroge : « Qu’aurait-on pu faire pour le climat, le social ou les services pu- blics avec les 100 milliards accordés à la Bundeswehr ? » Mais de telles personnalités semblent, hélas, devenues très minoritaires dans le parti.

En revanche, une lettre ouverte au chancelier lancée par 28 intellectuels et artistes pour que Berlin renonce à envoyer davantage d’armes lourdes en Ukraine fait énormément de bruit, dépassant en seulement quelques jours le seuil des 200 000 signatures. Elle demande au chancelier Scholz de rester sur sa position initiale et « d’éviter le risque d’un élargissement de la guerre à toute l’Europe, voire d’une Troisième Guerre mon- diale ». Et plutôt que de se laisser entraîner dans une escalade militaire, de contribuer « à ce que l’on en vienne aussi vite que possible à un cessez-le-feu, à un compromis que les deux côtés puissent accepter ».

Le grand philosophe Jürgen Habermas est sorti également de sa réserve pour crier « casse-cou » et dénoncer, dans un article paru dans la Süddeutsche Zeitung, « une frénésie au ressort exclusivement émotionnel » qui pourrait avoir les plus graves conséquences. En dépit d’« écolos vert olive », le pacifisme allemand n’a pas dit son dernier mot. Crucial et vital pour l’avenir de l’Europe et de l’humanité.

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