En dépit du désastre provoqué par la troïka, les ministres des Finances de la zone euro mettent Athènes en demeure de poursuivre son programme. Paris, qui tient les clés d’un autre rapport de forces, s’aligne.
Le climat des négociations autour du sort réservé à la dette grecque se tend considérablement. Après l’échec de la réunion de l’Eurogroupe, lundi 16 février, les ministres des Finances européens ont mis Athènes en demeure d’accepter, d’ici au vendredi 20 février, un prolongement de l’actuel programme dit d’aide. Ce à quoi le premier ministre grec, Alexis Tsipras, piqué au vif, a répondu par une véritable fin de non-recevoir. La France, qui dispose de toutes les cartes pour faire avancer un vrai compromis au sein de l’Eurogroupe, fait preuve, une nouvelle fois, de pusillanimité. Il y va pourtant de l’avenir même du projet européen, menacé par l’invraisemblable intransigeance de Berlin, dont le jusqu’au-boutisme peut déboucher sur un «grexit» (sortie de la Grèce de la zone euro) aux conséquences désastreuses pour tous les États membres.
Paris s’honorerait pourtant à respecter «le vote des électeurs grecs», comme l’a proclamé le président Hollande, autrement que par des mots. Cependant, après le clash à la réunion des ministres des Finances de l’Eurogroupe, les dirigeants français font bloc derrière les plus fervents partisans d’une poursuite des plans de la troïka en n’en modifiant ni les principes ni les conditions d’application. Seules quelques petites retouches seraient envisageables à l’intérieur de ce cadre. «L’outil juridique ne peut être autre chose que l’extension du programme !» clamait le ministre des Finances français, Michel Sapin, avant de retrouver ses homologues de l’UE à Bruxelles. Pierre Moscovici, le commissaire européen à l’Économie, était encore plus explicite : «Il n’y a pas de plan B. Il faut passer de l’idéologie à la logique !» a-t-il affirmé, un brin donneur de leçons à l’égard des dirigeants grecs.
Les gouvernants français se perdent ainsi dans les pirouettes d’une étrange rhétorique, invoquant tout au plus une «certaine flexibilité» du projet de texte négocié ou un «problème de formulation» (Michel Sapin), pour présenter in fine «un front commun» avec les défenseurs des «logiques» ordo-libérales, dont n’a pas manqué de se réjouir bruyamment hier le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble. La «prolongation» du programme, tel qu’il est – c’est-à-dire assortie des principales conditions édictées ces derniers mois par la troïka (UE, BCE, FMI) – serait «la seule solution». Et comme pour mieux se faire comprendre, le président de l’Eurogroupe, le travailliste néerlandais, Jeroen Dijsselbloem, a assorti cette proclamation d’une véritable mise en demeure, en expliquant qu’Athènes avait «jusqu’à vendredi» pour s’y conformer.
Le bras de fer avec Athènes
Face à cette étrange diplomatie du coup de force permanent, parfaitement en phase avec la décision du 4 février de la BCE de couper une partie des vivres aux banques grecques, Athènes a réagi aussitôt, déclarant qu’elle «n’accepterait pas d’ultimatum». Et de préciser : «Le plan actuel d’aides a provoqué une crise humanitaire.» Devant les députés grecs, mardi 17 février, Alexis Tsipras s’est montré encore plus déterminé, refusant tout compromis qui prenne le contre-pied des engagements de Syriza devant les électeurs : «Une certaine coutume voudrait que les gouvernements nouvellement élus prennent des mesures en contradiction avec leurs promesses électorales. Je le dis une nouvelle fois, nous comptons bel et bien honorer nos promesses de changement.»
En décidant d’engager ce bras de fer avec Athènes, les dirigeants de la zone euro jouent aux apprentis sorciers. Un maintien d’Athènes sous la perfusion empoisonnée de l’austérité pousserait en effet inéluctablement la Grèce vers la faillite. Certains observateurs invoquaient d’ores et déjà, hier, une urgence, en évoquant une fragilisation de plus en plus sensible du secteur bancaire grec. Ils estiment entre 400 et 500 millions d’euros, le montant quotidien des retraits des banques grecques (sous l’effet d’une fuite organisée des capitaux et de la montée de l’inquiétude des épargnants). Le système bancaire se trouve ainsi toujours davantage à la merci du bon vouloir de la BCE, qui doit examiner , mercredi 18 février, la durée pendant laquelle elle laisserait ouvert l’ultime robinet – celui des liquidités d’urgence ELA – qui irrigue encore la Banque centrale grecque et lui permet de maintenir ses banques à flot.