La République alpestre et l’Europe ont frôlé l’irréparable, l’extrême droite distancée de seulement quelques milliers de voix ne s’arrêtant qu’à quelques encablures de la présidence, qui lui aurait ouvert un boulevard vers la chancellerie. Les normes austéritaires de la zone euro au cœur de ce quasi-désastre.
Le chef de file du FPÖ brandissant la croix contre « l’islamisation » de l’Autriche
Il s’en est fallu d’un cheveu que l’Autriche élise un président de la République d’extrême droite. Au bout d’un insupportable suspense qui s’est prolongé jusqu’à hier après-midi, le candidat Vert, Alexander Van der Bellen, l’a emporté de 30 000 voix (50,35 %) sur Norbert Hofer, son adversaire de l’ultradroite (FPÖ). Devancé de près de 4 points à l’issue du décompte des voix dans la soirée de dimanche, Van der Bellen a pu rétablir l’équilibre in extremis et l’emporter grâce aux votes par correspondance. Après dépouillement de ces quelque 900 000 bulletins, il a arraché la victoire sur le fil. Déjà très largement affectées par le virus nationaliste, l’Europe et la zone euro sont passées tout près de l’irréparable.
Une précarisation d’une importante partie des salariés
Jamais en effet un parti ouvertement associé à une tradition héritée du fascisme, principal partenaire européen du Front national français avec qui il a constitué un groupe au sein du Parlement européen à Strasbourg, n’a été mesuré à un si haut niveau de nuisance. Norbert Hofer, le candidat du FPÖ, qui a reconnu sa défaite, a été stoppé à deux pas du Hofburg, un des palais impériaux où siège la présidence de la République alpestre dans le centre de Vienne. Le candidat du FPÖ ne faisait pas mystère de son intention d’user de son mandat pour dissoudre l’Assemblée nationale autrichienne et convoquer rapidement des élections législatives anticipées, pour lesquelles tous les sondages plaçaient à nouveau le FPÖ largement en tête et donc en capacité d’accéder au poste de chancelier, véritable lieu du pouvoir, que convoite Hans-Christian Strache, l’ambitieux chef de file du parti.
Les causes de ce quasi-désastre autrichien sont intimement liées à la manière dont fonctionnent l’Europe et la zone euro, prisonnières du modèle « austéritaire ». Le cinéaste Ken Loach recevant la palme d’or dimanche soir à Cannes relevait à juste titre combien la soumission aux « normes néolibérales », qui avait accentué les souffrances populaires, nourrissait la « montée préoccupante » des droites fascisantes ou radicalisées sur tout le continent. La population autrichienne est prise, de longue date, dans le carcan ordo-libéral. La grande coalition (SPÖ/ÖVP) au pouvoir en Autriche depuis huit ans a conduit ainsi des politiques qui ont flexibilisé le marché du travail, rationné les dépenses publiques. Elles ont débouché sur une précarisation d’une importante partie des salariés. Le sociologue Jörg Flecker a relevé, dans une étude pour le compte de l’université de Vienne, combien la relation était étroite entre les « démontages sociaux » de ces dernières années et la progression du vote FPÖ. Passant en revue les nombreux pays européens (Belgique, Pays-Bas, Hongrie, France ou encore Danemark) taraudés par la montée de l’ultradroite, le sociologue précisait dans un entretien au magazine Profil : « Partout les mutations mises en œuvre ont produit de l’insécurité et débouché sur des conditions de travail plus précaires. »
«Les travailleurs pauvres » ont voté massivement pour l’extrême droite
«Les travailleurs pauvres » autrichiens ont voté massivement pour l’extrême droite. Norbert Hofer a réalisé ses meilleurs scores dans les quartiers populaires de Vienne comme Simmering, jadis fief du parti social-démocrate. Près de 80 % des ouvriers auraient voté FPÖ selon un sondage réalisé à la sortie des bureaux de vote. Le phénomène semble d’autant plus important que les salariés bénéficiant d’un statut plus stable sont, eux, taraudés par la peur d’être à leur tour aspirés vers le bas et « déclassés ». Ce désarroi global en fait les récepteurs tout désignés des discours nationalistes et xénophobes, ceux qui présentent les migrants comme une nouvelle menace diffuse et font d’eux des boucs émissaires.
Ainsi les réformes de structure visant la flexibilisation des marchés du travail présentées de sommet européen de crise en sommet européen de crise comme le seul moyen de rétablir la santé économique et sociale de la zone euro, non seulement ne soignent pas, mais font prospérer les nationalismes. Elles accentuent la défiance à l’égard de partis traditionnels, d’un « establishment » éloigné des préoccupations quotidiennes des citoyens. Et l’un des enseignements les plus importants du quasi-désastre autrichien tient à la débâcle de la « grande coalition » des partis « raisonnables » de centre gauche et de centre droit, si chaudement recommandée dans l’Hexagone par les partisans d’un consensus libéral européen. Les deux grandes formations, associées au pouvoir à Vienne, conservateurs et sociaux-démocrates, qui dominent la vie politique depuis la guerre, n’ont-elles pas été éliminées du second tour de la présidentielle ? N’ont-elles pas été soutenues, chacune d’elles, par moins de 12 % des électeurs ? Un verdict sans appel pour une démocratie rétrécie placée sous pilotage économique automatique.
Le traitement autrichien du dossier des migrants va s’avérer tout aussi calamiteux et contre-productif. Dans l’espoir de contrer in extremis la montée en puissance du vote FPÖ, déjà très haut avant la crise des réfugiés de 2015, le chancelier Werner Faymann (SPÖ) a décidé de se mettre au diapason des revendications nationalistes, de fermer les frontières et de durcir les conditions d’obtention de l’asile. Résultat : les diatribes extrémistes ont été banalisées et nombre d’électeurs ont préféré l’original à la copie du chancelier.