Le nouveau succès de l’extrême droite, qui devance la CDU de la chancelière dans le Mecklembourg/Poméranie, s’est construit sur la xénophobie, comme moyen de récupérer un profond malaise politique et social.
Décidément l’Allemagne n’échappe plus à la dérive nationaliste qui touche une grande partie de l’Europe. C’est le premier enseignement de l’élection du dimanche 4 septembre dans le Land de Mecklembourg-Poméranie au nord-est du pays. En réalisant près de 21 % des voix l’Alternative pour l’Allemagne (AfD, extrême droite) arrive en seconde position et confirme les percées réalisées au printemps dernier lors de trois autres scrutins régionaux ( Bade Wurtemberg, Rhénanie Palatinat et Saxe-Anhalt). Les nationalistes ont progressé au détriment de toutes les autres formations et ils se payent même le luxe d’infliger un camouflet à la chancelière, Angela Merkel, en devançant son parti chrétien-démocrate (CDU), crédité du score le plus faible de son histoire dans le Land (19 %). Quant au SPD du ministre-président sortant, Erwin Sellering, s’il reste largement en tête (30,6 %), il subit lui aussi une très forte érosion.
La CSU bavaroise n’a pas tardé à reprendre ses critiques acerbes de la politique migratoire de la chancelière, réclamant un durcissement des mesures déjà engagées pour « plafonner » le nombre de demandeurs d’asile. Sur la défensive, Merkel avait elle-même martelé, à la veille du scrutin, devant le groupe parlementaire CDU : « La chose la plus importante dans les mois à venir, c’est l’expulsion (des migrants – NDLR), l’expulsion et encore une fois l’expulsion. » Mais la caractéristique de ces surenchères rhétoriques c’est qu’elles profitent bien davantage à « l’original qu’à la copie », selon l’observation malicieuse de Frauke Petry, la présidente de l’AfD, réjouie que les thèmes ouvertement xénophobes cultivés par sa formation soient devenus « le centre du débat politique ».
L’AfD, lancée – il y a seulement 3 ans – par d’anciens membres de l’aile droite de la CDU et quelques sommités du monde patronal, joue à plein de l’immense malaise social qui taraude le pays pour faire des migrants des boucs émissaires, coupables de vouloir « piller l’État-providence » ou même « imposer leur mode de vie ». Les véritables problèmes de fond – ceux qui ont précipité une partie importante de la population allemande dans les difficultés, voire la pauvreté – sont ainsi occultés. Marcel Fratzscher, chef économiste du DIW de Berlin, l’un des plus grands instituts de conjoncture du pays, dissèque dans son dernier livre (1). les raisons pour lesquelles « l’Allemagne devient toujours plus inégalitaire » et alerte des « conséquences inéluctables » pour la santé de l’économie et de la société.
La machine à fabriquer de la précarité fait des ravages. Lancée par le chancelier Schröder, elle reste pourtant l’objet de toutes les attentions de la chancelière, qui ne manque pas une occasion d’en recommander fermement l’usage aux « partenaires européens » afin qu’ils « gagnent en compétitivité ». Lors du vote de ce dimanche 4 septembre, ce sont les personnes marginalisées économiquement, écœurées par « la politique » et habituées de l’abstention qui se sont mobilisées en faveur de l’AfD. L’augmentation de la participation de plus de 10 % (de 51,5 %, il y a cinq ans, à 61,6 %) a essentiellement profité à cette formation. Toutes les enquêtes post-électorales indiquent qu’elle est ultra-majoritaire chez ces « exclus » ( ouvriers, précaires, chômeurs etc) qui ne votaient plus. Un phénomène analogue avait été observé lors des scrutins de mars dernier. Le discours nationaliste, xénophobe et anti-euro a fonctionné à la fois comme un aimant et un puissant dérivatif, indispensable à l’AfD, qui avance elle-même un programme monétariste et ultralibéral.
Un terrain favorable à la démagogie de l’AfD
Le Mecklembourg/Poméranie, l’un des deux Länder les plus pauvres du pays, n’a cessé de renforcer l’austérité afin de parvenir à un équilibre d’ici à 2019, date à laquelle entrera en vigueur un « frein à la dette », inscrit dans la Constitution par les partis de la grande coalition. Il lui interdira alors de souscrire le moindre emprunt. Or cette obsession du moins-disant social et des coupes publiques fait grandir mal-vie et désarroi d’une partie substantielle de la population, créant un terrain si favorable à la démagogie de l’AfD.
Le recul de 6 points de Die Linke, seule formation à dénoncer les vraies raisons d’un malaise dont la racine se trouve dans le consensus ordo-libéral et antisocial de la grande coalition, est l’élément le plus préoccupant du résultat de ce dimanche. On prêtait au SPD de Mecklembourg/Poméranie le souhait d’arrêter enfin les frais, à Schwechin, d’une coalition avec la droite. Mais l’affaiblissement de Die Linke et la disparition pure et simple des Verts, qui n’ont pas franchi la barre des 5 %, ne lui ouvrent guère vraiment la possibilité d’un retournement d’alliance, désiré pourtant d’évidence jusque par la direction d’un SPD qui demeure scotché à son plus-bas historique dans tous les sondages nationaux.
(1) Verteilungskampf. Warum Deutschland immer ungleicher wird (Combat pour la redistribution. Pourquoi l’Allemagne devient toujours plus inégalitaire), Hanser, 2016.