La chancelière a sauvé provisoirement son poste au prix de concessions terribles à son aile droitière et xénophobe. Celles ci vont aggraver une crise politique interne déjà aiguë et envenimer un climat européen déjà délétère.
Le Le compromis passé par Angela Merkel dans la nuit du 2 au 3 juillet avec Horst Seehofer, son ministre de l’Intérieur et chef de file de la CSU bavaroise, lui a permis de sauver son poste à la tête de l’État allemand. Un formidable durcissement de la politique d’immigration est programmé, avec la création de centres fermés dits de transit aux frontières du pays avec l’Autriche. Les demandeurs d’asile qui ont déjà été enregistrés dans un autre pays de l’UE – c’est-à-dire l’immense majorité des intéressés – doivent y être internés avant qu’une « procédure rapide » ne soit enclenchée pour leur expulsion. Après des semaines d’intenses controverses et de menaces de faire éclater la grande coalition gouvernementale, cette signature d’un pacte entre partis chrétiens « frères » a bien moins l’allure d’un nouveau départ que d’un répit dans la crise politique qui taraude l’Allemagne depuis près d’un an, après l’élection du Bundestag.
Seehofer, qui réclamait un retour des contrôles à la frontière pour pouvoir renvoyer les migrants « non conformes », a eu beau jeu de fanfaronner qu’il avait « imposé ses vues sur tous les points ». Bernd Riexinger, coprésident de Die Linke, a réagi immédiatement en pointant que l’expression « centre de transit » n’était qu’un euphémisme du pouvoir pour caractériser que des êtres humains « doivent être massivement internés dans des camps ». « L’humanité, conclut-il, est menacée par cette coalition gouvernementale. » La chancelière s’abrite, elle, derrière l’accord passé au Conseil européen de Bruxelles des 28 et 29 juin pour tenter laborieusement de sauver la face. Elle avance que les « centres » s’inscrivent dans les mesures adoptées avec ses collègues de l’UE, pour plaider qu’elles constituent une « solution européenne. »
En fait, l’accommodement CDU-CSU est porteur de terribles effets boomerang sur la chancelière et les fragiles équilibres bricolés pour se maintenir au pouvoir. Ainsi, la course effrénée sur les positions de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD, extrême droite) est-elle censée contenir la progression de ce parti, notamment en Bavière où se profile l’élection du Parlement du Land, le 14 octobre prochain. Mais, en réalité, elle le banalise toujours davantage, sans même qu’il lui soit besoin de partir en campagne. Comme le prouvent toutes les enquêtes d’opinion qui le placent désormais au-dessus des 15 % au plan national.
Les mesures allemandes promettent aussi d’envenimer toujours davantage le climat européen. Elles prévoient en effet que les demandeurs d’asile « en infraction » soient renvoyés dans le pays par lequel ils sont entrés dans l’UE. Cependant, il faut qu’à cette fin un accord bilatéral existe avec ce pays. Sinon, prévoient les mesures CDU-CSU, les migrants seront expulsés vers l’État membre voisin, celui d’où ils ont franchi la frontière. En l’occurrence, ici, l’Autriche. D’où la réaction acerbe de Vienne, qui accuse Berlin de vouloir bafouer « le droit international ». « Nous expliquerons aux Allemands que nous n’accueillerons pas » les migrants expulsés, a prévenu Herbert Kickl, ministre de l’Intérieur autrichien et membre du FPÖ (extrême droite), associé au gouvernement du chancelier conservateur, Sebastian Kurz. Et, autre signe du risque de déclenchement d’une cascade de surenchères nationalistes : Vienne a annoncé dès hier son intention de créer à son tour des « centres de transit » à ses frontières sud avec l’Italie et la Slovénie.
Angela Merkel reste tributaire de la réaction de ses principaux partenaires, les sociaux-démocrates, au sein de la grande coalition. Mais, pour l’heure, il semble que ce soit le SPD, lui-même décrédibilisé, qu’elle place dans une position encore plus délicate. Andrea Nahles, la présidente du parti, s’est montrée plutôt ouverte à l’égard du compromis CDU-CSU, moyennant, dit-elle, « l’examen de quelques détails ». Tout plutôt qu’un clash, semble ainsi dire une direction du SPD qui veut à tout prix éviter des élections anticipées, synonymes d’une nouvelle débâcle annoncée par les sondages. Mais cette nouvelle allégeance « de raison » à Merkel risque de rouvrir les dissensions apparues au début de l’année sur le bien-fondé d’une nouvelle participation à la grande coalition. Plusieurs frondeurs du parti dénoncent en effet des mesures « inacceptables », qui vont « totalement dans le sens de l’extrême droite ».