Face aux actionnaires de sociétés dites d’investissement et aux requins de la bourse de Francfort qui se sont emparés des immeubles et ne cessent de faire grimper les prix les locataires mobilisés lancent une procédure référendaire (in l’humanité du 29 avril 2019)
Les immeubles de certains quartiers du centre de la capitale allemande découvrent ces jours ci des façades méconnaissables aux yeux des touristes éberlués. Aux fenêtres de nombreux appartements, sur les balcons, des pancartes, des banderoles ont été installées. Comme un jaillissement décoratif impromptu, comme un cahier de doléances mural géant contre l’appétit des requins de l’immobilier, revendiquant « l’arrêt de la valse des expulsions » et « le droit de vivre et de se loger à Berlin. » La lutte contre « le délire de l’explosion des loyers», selon la formule vedette de ces immenses fresques, est au cœur d’une mobilisation citoyenne hors normes.
Les locataires berlinois comme ceux des grandes villes du pays ont envahi la rue, samedi 6 avril. A Berlin le cortège a rassemblé prés de 30.000 manifestants. La hausse continue du prix des loyers pèse toujours davantage sur le pouvoir d’achat des plus modestes, les obligeant à immigrer vers la périphérie. Un jeune brandit sa dernière quittance pour un deux pièces : 1408 euros contre 458, le mois précédent avant de menus « travaux de modernisation. »
De grosses sociétés tirent le maximum de profits de cette situation. L’Allemagne qui comptait encore 4 millions de logements sociaux au milieu des années 2000 n’en possède plus aujourd’hui qu’un million. Plusieurs vagues de privatisations ont ravagé le secteur et raréfié l’offre d’appartements. Ce qui a alimenté le « délire » des hausses dénoncées par les locataires. Dans la cité-état les loyers ont doublé en dix ans. Ceux qui en profitent le plus sont des filiales de poids lourds de la bourse. Des groupes comme Vonovia ou Deutsche Wohnen ont mis la main sur quelques 200.000 logements berlinois. Ils ont augmenté les quittances de location au rythme d’au moins 4% l’an. En moyenne.
Deutsche Wohnen (112.000 appartements berlinois) est passé entièrement sous le contrôle de Blackrock , une société d’investissement états-unienne en proie à un forcing permanent pour accroître ses marges financières. « Ce n’est pas possible que le logement soit réduit à une marchandise où la seule chose qui importe est la hausse des dividende pour des actionnaires-propriétaires toujours plus avides», dénonce Daniel Dickmann, l’un des principaux protagonistes du soulèvement des locataires berlinois. Dirigeant, de longue date, d’une association de locataires il habite lui-même dans « Mitte », arrondissement central parmi les plus touchés par la valse d’augmentations des quittances, l’exode des milieux populaires et la gentrification qui l’accompagne.
Un seuil semble bien avoir été franchi par le mouvement des locataires berlinois en ce printemps 2019. L’ampleur de la mobilisation se nourrit en effet d’une démarche aussi atypique qu’originale, une proposition dé-coiffante des associations et des militants du «droit à vivre et à se loger dignement » dans la cité : ils s’appuient sur rien moins qu’un paragraphe de la constitution pour exiger que les logements soient « re-municipalisés » ou plus exactement replacés sous le contrôle du Land (la cité-état de Berlin). Selon l’article 15 de la loi fondamentale le bâti et le foncier « peuvent être transformé en effet en propriété publique» quand le besoin s’en fait sentir « pour la communauté» et (ou) le maintien d’un vivre ensemble digne de « l’Etat-social. »
Fort de ce texte relégué aux oubliettes par les gouvernements des chanceliers Schröder puis Merkel, les locataires berlinois ont lancé une pétition citoyenne. Avec des chances de succès non négligeables. Ils peuvent s’appuyer en effet sur une procédure démocratique, plutôt exemplaire, elle aussi, et propre aux Länder (état-régions). S’ils parviennent à recueillir 20.000 signatures d’ici 6 mois puis à obtenir le soutien d’au moins 170.000 électeurs de la cité d’ici février 2020 ils pourront alors susciter la convocation d’un référendum d’initiative populaire pour ou contre cette « remunicipalisation.»
Plus de la moitié des berlinois, soutiennent aujourd’hui la démarche selon un sondage. Au sein du gouvernement de gauche (SPD, Verts, Die linke) du Land capital, die Linke a pris fait et cause pour l’action des locataires, la moitié du SPD et une partie des verts y sont également favorables. Durant la décennie 2000 Die Linke (baptisée alors PDS-Linkspartei), s’était finalement rallié au processus de privatisation des logements berlinois. Le parti participait alors à un gouvernement d’union avec le SPD qui exerça un chantage au soulagement des finances publiques de la ville surendettée. Y avoir cédé a constitué « une formidable erreur », tranche aujourd’hui un des cadres berlinois de Die Linke. Avec le parti, résolu à réparer cette ancienne sortie de route et à agir, les locataires berlinois sont bien décidés à tourner cette funeste page.