Euros comment s’affranchir des règles de fer

Tandis que la lumière se fait sur le leurre du frexit, un débat de fond peut s’engager sur une transformation de la monnaie unique dont les crédits gratuits pourraient fournir la base des financements pour les services publics ou la préservation du climat.

Les « frexiters» comptaient bien en faire le premier thème du débat public à l’occasion de ces élections européennes. C’est raté. Depuis quelques mois l’opinion paraît de plus en plus rétive à cette perspective. Non qu’elle apprécie d’un seul coup les politiques d’austérité et les autres ajustements drastiques qui figurent au cœur du fonctionnement de la monnaie unique. Mais sa défiance a grandi à l’égard de divers discours populistes, faisant de la monnaie unique une commode victime expiatoire, un moyen d’éviter d’aborder des questions systémiques pour laisser entendre qu’il suffirait d’un retour aux bonnes vieilles devises nationales ; une sorte de martingale pour rétablir une souveraineté populaire, effectivement mise à mal.

« L’eurexit », une vraie fausse solution

Les difficultés liées à l’organisation du brexit ont constitué un redoutable test de la pratique pour ces pseudo souverainismes. Même si la Grande-Bretagne n’a jamais été membre de la zone euro, la sortie de l’Union Européenne pilotée par les forces les plus national-libérales du Royaume, a fait resurgir au moment du passage à l’acte, le degré et l’intensité des interdépendances avec le continent. Et les risques économiques mais aussi sociaux engendrés par cette aventure. Au point que les syndicats britanniques sont vent debout contre les logiques antisociales à l’œuvre.

Il n’est guère difficile de déduire des incroyables péripéties du feuilleton sans fin du Brexit, à quelles extrémités pourraient conduire une sortie de la zone euro. Un « eurexit » apparaît de plus en plus nettement pour ce qu’il est : une vraie fasse solution. Les dévaluations dites compétitives induites par le rétablissement des devises nationales, inscrites dans un environnement mondial très concurrentiel, dominé par le dollar, ne libéreraient en rien des contraintes de la mondialisation libérale. Simplement il viendrait rajouter dans la boîte à outil censée permettre de jouer des coudes sur les marchés mondiaux, un dumping monétaire au dumping social et fiscal existants. Comme l’illustra l’expérience des dix dévaluations du franc orchestré dans l’après-guerre jusque dans les années Mitterrand.

Pour autant les raisons de s’affranchir des règles de fer qui régissent la zone euro sont d’une actualité de plus en plus brûlantes. Initiées par le traité de Maastricht et le consensus ordo-libéral imposé à ses partenaires par le chancelier Kohl au lendemain de la réunification, l’euro est enfermé en effet dans un carcan monétariste, fondé sur le rationnement des dépenses publiques et l’austérité salariale. Soit des logiques récessives qui ont pesé sur l’activité. Au point d’amener la zone euro au bord du gouffre au milieu de cette décennie quand elle est entrée dans un processus de déflation (baisse des prix et des salaires) qui la conduisait tout droit vers la dépression économique.

La zone euro menaçait ainsi d’être emportée par l’application des… règlements de la monnaie unique. On connaît la nature de la procédure d’urgence déclenchée par Mario Draghi pour sauver le soldat euro. Le président de la BCE obtint, en dépit des réticences allemandes, l’autorisation de se mettre carrément en contravention avec les textes des traités pour lancer des politiques dite d’assouplissement quantitatif. Traduisez : l’autorisation d’émettre des crédits nouveaux (de la monnaie). A partir de mars 2015 il va ainsi inonder les banques, les compagnies d’assurance et autre gros opérateurs des marchés financiers de crédits gratuits à raison de 60 à 80 milliards d’euros par mois.

Au total jusqu’à l’arrêt de cette procédure d’urgence en décembre 2018 quelques 2.600 milliards d’euros de crédits à taux zéro seront déversés sur les marchés. Au seul bénéfice des plus gros qu, recherche de la rentabilité oblige, ont eu tôt fait de confisquer cette manne pour se livrer à des opérations strictement spéculatives. D’où la léthargie persistante qui affecte la zone euro. Même si un collapse majeur a sans doute pu être évité l’argent déversé par la BCE n’a jamais vraiment pu «ruisseler», comme il fut prétendu, jusqu’à l’économie réelle et offrir ces crédits bon marchés qui manquent pourtant si cruellement à nombre d’entreprises.

 

Ian Brossat est le seul à briser le tabou de l’euro

 

La nécessité de changer radicalement de cap pour que les prêts à taux zéro de la BCE ne soient plus confisqués par la finance, est devenue ainsi plus transparente. Elle apparaît plus cruciale que jamais si on veut bien la confronter aux défis qui émergent avec force dans l’actualité : quand le mouvement des gilets jaunes exprime un si fort besoin d’investissements pour l’aménagement et le développement des territoires, des services publics ou encore quand la survie même de l’Humanité rend nécessaire des financements considérables contre le réchauffement climatique.

Ian Brossat, tête de liste communiste aux Européennes, est le seul à relever le caractère systémique de ces enjeux et à briser le tabou de l’euro dont il veut faire un moyen de financer à bon compte les biens communs européens. Il propose de créer à cet effet un fonds européen ad hoc (notre article ci contre). Les défis en présence sont d’une telle acuité que la plupart des autres candidats ne peuvent plus l’ignorer. Même Nathalie Loiseau, tête de liste de la république en marche, plaide l’instauration d’une « banque du climat ». Mais elle n’aurait d’autre vocation que de canaliser l’épargne des européens vers «une finance verte » qui resterait dominée par les critères de rentabilité des marchés financiers. Ce qui est une manière de signifier que ce beau dispositif fournirait, en même temps, son propre veto aux financements les plus utiles pour le genre humain menacé.

Comme la compétitivité et le dumping monétaire restent le marqueur des populistes du frexit, le retour sur investissement financier demeurerait la seule bible qui vaille.

Le dernier scandale écologique et social en date, la menace de suppression de ce train de primeurs qui relie Perpignan à Rungis, vient pourtant illustrer concrètement le besoin d’interventions hétérodoxes et novatrices, dépassant les logiques dominantes.  Pour cause de rentabilité la SNCF et certains de ses gros usagers seraient prêts à transférer l’acheminement des fruits et légumes sur route, avec à la clé des dizaines de suppressions d’emplois de cheminots et la mise en service de quelques 25.000 poids lourds supplémentaires, gros émetteurs de CO2.

Pourtant, souligne Ian Brossat, qui a fait de cet enjeu l’un de ses principaux thèmes d’intervention en cette fin de campagne, « chacun peut mesurer » combien il serait indispensable « d’investir dans le développement et la rénovation du fret ferroviaire » et combien  le financement d’un projet aussi salutaire pourrait s’opérer à des conditions plus favorables que celles du marché, en usant des crédits à taux zéro de la Banque Centrale Européenne (BCE).

Il faudrait 6 milliards d’euros par an pour redonner une place significative au fret ferroviaire dans notre pays, 30 milliards pour l’ensemble de l’UE : c’est 1% du montant des titres qui furent « achetés par la BCE dans le cadre du quantitativ easing (assouplissement quantitatif) » fait remarquer l’économiste communiste, Denis Durand. Les mobilisations des citoyens français et européens en faveur de leurs services publics et du climat passent par un euro radicalement transformé. C’est un des vecteurs clé de l’indispensable refondation de l’Europe.

 

 

 

 

 

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