Le congrès du Parti social-démocrate, qui s’est achevé le 8 décembre, a voulu concilier le refus d’une « sortie immédiate » du gouvernement Merkel et une « réorientation à gauche ».
Le grand écart jusqu’où ? Pour retrouver sa crédibilité perdue, le SPD (Parti social-démocrate) en crise veut donner un sérieux coup de barre à gauche, mais il prône, en même temps, un maintien de la grande coalition avec la chancelière Angela Merkel. Les sociaux-démocrates allemands se sont résolus à leur congrès ce week-end à Berlin à un compromis en forme de quadrature du cercle. L’élection surprise par les adhérents du parti du duo formé par Saskia Esken et Norbert Walter-Borjans signalait une défiance exacerbée de la base à l’égard de la ligne sociale-libérale de la direction sortante. Les deux nouveaux dirigeants se sont engagés sur une remise en cause des orientations qui, sous l’impulsion des réformes Hartz, ont conduit « l’Allemagne à posséder le plus vaste secteur à bas salaire des pays développés », a encore répété Saskia Esken à l’ouverture du congrès. Le respect du dogme de l’équilibre budgétaire est une folie « alors qu’il faudrait sur dix ans quelque 450 milliards d’investissements dans les services publics, le numérique et la lutte contre le réchauffement climatique », a plaidé Norbert Walter-Borjans. Ces positions tranchent avec les orientations du ministre des finances et vice-chancelier, Olaf Scholz, battu dans la course à la présidence du parti. Ce qui a alimenté les spéculations sur une possible rupture de la grande coalition.
La direction sortante battue a pesé de toutes les pressions
Les perdants de la direction sortante autour d’Olaf Scholz se sont mobilisés, avec l’ex-chancelier Gerhard Schröder, grand ordonnateur des réformes Hartz, et plusieurs ministres-présidents SPD de Länder (États-régions), pour défendre la poursuite de la participation au gouvernement Merkel, laissant planer le spectre d’une scission. La manœuvre a pesé sur les décisions du congrès. Les délégués ont rejeté une motion se prononçant pour « une sortie immédiate » de la grande coalition. Ils lui ont préféré l’ouverture de « discussions » avec la CDU pour infléchir le gouvernement en faveur d’une « hausse progressive du salaire minimum pour le porter à 12 euros de l’heure » ou « de gros investissements pour le climat ».
Les débats vont continuer d’être serrés
Pour autant, il est loin d’être écrit qu’Angela Merkel puisse achever son ultime et quatrième mandat comme prévu à l’automne 2021. Les débats vont continuer d’être serrés au sein d’un parti social-démocrate, confronté à un véritable problème existentiel et réduit aujourd’hui à moins de 15 % des intentions de vote dans les sondages. Kevin Kühnert, le chef de file des Jusos (jeunes socialistes) qui a pris la direction de la rébellion progressiste, a été élu à la vice-présidence du parti, tandis que plusieurs poids lourds de l’ex-direction, comme le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, mis en minorité par les délégués, ont été contraints de céder la place. La convocation d’élections anticipées qui pourraient se traduire par une nouvelle progression de l’extrême droite (à 15 % également dans les sondages) est brandie comme un épouvantail. « Mais la poursuite de la GroKo (grande coalition) ne peut qu’accélérer encore notre descente aux enfers », relèvent les partisans de la rupture avec Merkel, qui affirment qu’ils ne désarmeront pas. Au sein de la CDU, le moindre « bougé » risque de s’avérer compliqué. La chancelière, tiraillée en interne par des forces centrifuges nationales-libérales, a déjà fait connaître une opposition catégorique à « toute renégociation » de l’accord gouvernemental passé avec le SPD. De quoi transformer en mission impossible toute concession, a fortiori de « gauche », aux nouveaux dirigeants du SPD.
Bruno Odent