Pourquoi les capitaux fuient les pays émergents

À haut risque, le phénomène s’accélère, nourri à la fois par les signes de ralentissement du boom économique des États du Sud et les logiques du casino financier mondial dont les protagonistes misent sur le roi dollar et la reprise aux États-Unis. (article paru le 10 mars 2014)

Argentine, Inde, Turquie, Afrique du Sud, Russie, Brésil tous les pays émergents sont, aujourd’hui, confrontés à un spectaculaire mouvement de retrait de capitaux. Principale conséquence: leurs monnaies décrochent ( 57% sur un an pour la roupie indienne par rapport au dollar,  35?% pour la livre turque,  30?% pour le peso argentin). D’où un regain de l’inflation et l’aggravation des tendances à un net ralentissement de l’activité observé déjà dans l’ensemble de ces pays où la croissance affichait, il y a peu de temps encore, des niveaux record.

Techniquement c’est la Réserve fédérale (FED) des États-Unis qui se trouve à l’origine du problème. Pour faire face à la crise, après le krach de 2008, la banque centrale états-unienne a inondé l’économie de liquidités. Seulement, compte tenu de l’absence de critères de sélectivité du crédit mis à disposition de l’économie, la manœuvre a conduit bien vite au retour d’une frénésie spéculative prospérant ainsi sur un accès presque illimité à des financements bon marché. Et cette dimension s’est conjuguée aux privilèges du dollar, monnaie impériale qui fonctionne, de fait, comme une monnaie commune mondiale pour jouer à la hausse ou à la baisse au casino planétaire les devises des pays émergents.

Un retour de balancier spéculatif
Dans un premier temps, les spéculateurs ont utilisé les facilités procurées par ces opérations dites de «quantitative easing» (assouplissement quantitatif) de la FED (achats directs à des taux quasi nuls de bons du Trésor ou de titres immobiliers hypothécaires) pour se ruer sur les devises des émergents. Des placements dans des titres libellés dans les monnaies de pays à la croissance en plein boom étaient en effet réputés constituer une super affaire. Au passage, ces mouvements de capitaux vers les économies émergentes permettaient de dévaluer le dollar afin de rendre les productions états-uniennes plus compétitives. Ce qui n’avait pas manqué de soulever les réactions de nombreux dirigeants du «Sud», comme le Brésil, inquiets alors des dégâts occasionnés par une surévaluation de leurs monnaies.

On assiste aujourd’hui à un retour du balancier spéculatif. Les États-Unis ayant pu renouer avec un niveau de croissance annuelle supérieure à 2% (en réduisant notamment une partie de leurs déficits sur les émergents), la FED entend peu à peu couper le robinet à injections de liquidités. La promesse de rendements plus forts du côté de l’économie états-unienne incite les «investisseurs» à placer leurs capitaux sur la case de la première économie mondiale ou sur celle de l’Europe. Ce qui, au passage, fait grimper vers des sommets le taux de change de la monnaie unique européenne et contribue donc à affaiblir la position des européens.

Le retrait des positions prises sur les émergents est d’autant plus fébrile aujourd’hui qu’un mouvement de panique s’ébauche, nourri par les mauvais indices, le ralentissement de la croissance ou les divers signes d’instabilité politique émanant des pays placés sous le label Brics (comme Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).

Si les États-Unis sont au cœur de ce phénomène, lourd de dangers pour une économie mondiale dont les émergents constituent une locomotive, l’Europe a aussi sa part de responsabilité. Les politiques austéritaires mises en œuvre par les États de la zone euro ont asséché en effet quelque peu la demande européenne aux Brics, contribuant ainsi au ralentissement enregistré par leurs économies.

Les mouvements de capitaux en recherche frénétique de rentabilité financière et leur concentration aujourd’hui sur les États-Unis – Wall Street a atteint à nouveau des niveaux historiques en 2013 – ne sont pas sans rappeler les «bulles» à l’origine du krach de 2008. Les mêmes causes continuent de provoquer les mêmes effets sur fond de surpuissance du dollar et des marchés financiers.

 

 

 

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