Multiplication de gestes solidaires et… d’attaques xénophobes. Dans un contexte où l’économie fait face, pour cause de crise démographique, à un manque de main d’oeuvre qualifiée, le besoin d’immigration s’intensifie. Et les autorités envisagent d’y répondre grâce à une loi organisant une immigration sélective.
Face à l’afflux d’immigrés venus des Balkans et du Moyen-Orient, l’Allemagne vit ces jours-ci dans de saisissants contrastes clair-obscurs. Côté lumière : elle présente un visage ouvert et plein de compassion pour les nouveaux arrivants, celui d’un mouvement de citoyens en pleine ascension déterminé à organiser la solidarité. Côté ténèbres : elle enfile à souhait les habits du racisme, ceux de ces incendiaires de foyers de demandeurs d’asile ou de ces brutes au crâne aussi lisse que vide qui multiplient les violences contre les migrants. Au point que, depuis le début de l’été, pas une journée ne se passe sans que ne soit répertoriée au moins une de ces exactions des sbires d’une extrême droite, en certains endroits «tolérée», voire encouragée par des populations riveraines. Au total, selon la commission de l’intérieur du Bundestag, 340 attaques ont été ainsi commises entre janvier et août contre des demandeurs d’asile.
C’est en bonne partie en réaction à cette poussée de haine que Gabriele Schröter a décidé de s’engager au sein d’un Willkommenbündnis, pacte de bienvenue formé de milliers de volontaires ou de membres d’organisations citoyennes qui entendent déployer la solidarité avec les migrants. «Voir ces gens qui fuient la guerre ou la misère traités de cette manière ça me révulse. Je ne pouvais pas rester spectatrice», explique la jeune prof de maths. Postée à deux pas de la gare de Munich, elle ne sait plus où donner de la tête en ce 4 septembre : «On est débordé, dit-elle. Des gens appellent et proposent de nous apporter des matelas. D’autres viennent avec du matériel scolaire pour les enfants, d’autres encore les bras remplis de victuailles ou d’objets de première nécessité.»
Violences xénophobes
Schizophrénie allemande : trois cents kilomètres plus au nord à Heppenheim, près de Francfort, ce même 4 septembre, un immeuble abritant une soixantaine de réfugiés (syriens, irakiens et érythréens) était incendié aux premières heures de la journée. Un demandeur d’asile a été grièvement blessé en sautant du deuxième étage pour fuir les flammes. Plusieurs personnes ont été placées en observation après avoir été intoxiquées par les fumées, et le feu a rendu l’établissement totalement inutilisable.
La chancelière Angela Merkel avait réagi avec force, fin août, à la suite de la mise à feu d’un autre foyer de demandeurs d’asile à Heidenau, en Saxe, en se rendant sur place pour dénoncer ceux qui se livrent à des agressions «abjectes» et «qui remettent en cause la dignité d’autrui». D’aucuns ont pu juger, à juste titre, que la réaction était bien tardive alors que, depuis des mois, des violences xénophobes du même type ou la multiplication des défilés du mouvement des Patriotes d’Europe contre l’islamisation de l’Occident (Pegida) laissaient la chancellerie de marbre. Il n’empêche, depuis quelques mois, le discours de Berlin a évolué dans un sens incontestablement plus favorable à l’immigration.
Principale raison de ce mouvement : «la conscience grandissante de sa nécessité dans un pays confronté à une très grave crise démographique», relève le politologue berlinois, Reiner Weissfuss. L’Allemagne vieillit et dans certains secteurs les entreprises ne trouvent plus suffisamment de jeunes au sortir des écoles pour renouveler leurs effectifs. D’où une inquiétude croissante dans les milieux patronaux. En aidant les immigrés, «nous nous aidons nous-mêmes», affirmait ainsi il y a quelques jours Ulrich Grillo, le patron des patrons allemands. On l’aura compris cependant, cette ouverture de la classe dirigeante en faveur de l’immigration n’est pas exempte d’ambiguïtés. Puisqu’il s’agit d’abord de se tourner vers les migrants utiles, donc diplômés.
Thomas Oppermann, le chef du groupe SPD au Bundestag, en appelle à la promulgation d’une nouvelle «loi sur l’immigration» qui permette de répondre aux attentes des «milieux économiques», dit-il. Objectif revendiqué : créer une voie rapide à l’asile pour «les plus qualifiés», une sorte de machine à trier qui permettrait «d’expulser aussi plus rapidement» tous ceux qui ne disposent pas des bagages de compétences exigés. Comme ces dizaines de milliers de Kosovars, dont 99% se voient refuser aujourd’hui toute demande d’asile.
Angela Merkel penche d’évidence, elle aussi, en faveur d’une ouverture sélective des frontières. Mais elle reste pour l’instant plus circonspecte que son partenaire de la grande coalition. Le terrain de l’assouplissement désiré de la politique d’immigration est en effet miné de contradictions. Car la chancelière se heurte à des résistances au sein de son propre parti. Plusieurs dirigeants de la CSU bavaroise et le ministre de l’Intérieur, Lothar de Maizière en personne, ont défrayé en effet la chronique en août en s’insurgeant contre «les prestations trop importantes» (sic) accordées aux demandeurs d’asile. Ce qui n’a pas manqué de combler d’aise les démagogues de l’AfD, l’extrême droite xénophobe anti-euro installée désormais dans nombre de parlements régionaux. Et le forcing de Berlin cet été en faveur d’un «grexit», appuyé sur une campagne populiste qui n’a pas lésiné sur l’usage des préjugés xénophobes antigrecs, ajoute encore à ce passif.
Gabriele, la jeune prof de maths de Munich, s’insurge contre «une formidable hypocrisie» en pointant elle-même cette contradiction : on ne peut pas nier le principe de solidarité à l’intérieur de l’Union européenne et tenter, quelques semaines plus tard, «de se racheter, dit-elle, une image humaniste avec une politique d’immigration prétendument plus ouverte alors qu’elle est imprégnée du plus strict utilitarisme».