Le rétablissement des contrôles aux frontières trahit la montée des pressions au sein du parti de la chancelière allemande, où l’on dénonce les « faveurs » faites aux réfugiés d’autant plus fort que l’on a applaudi cet été au refus de solidarité avec Athènes.
La volte-face d’Angela Merkel sur l’immigration illustre toute la schizophrénie de la politique de Berlin. Après avoir paru se rallier aux arguments de ces nombreuses associations de citoyens rassemblées dans des Willkommenbündnis (Pactes de bienvenue) exigeant que le pays soit à la hauteur de l’accueil des migrants fuyant les guerres et la misère, la chancelière a annoncé dimanche un rétablissement des contrôles aux frontières pour les trier à l’entrée du territoire. Cette marche-arrière-toute illustre le forcing des milieux les plus conservateurs hostiles aux migrants dans le parti même d’Angela Merkel. La chef du gouvernement allemand se trouve ainsi écartelée entre deux courants très contradictoires qui traversent aujourd’hui l’opinion et surtout… la classe dirigeante.
Préoccupée par les conséquences d’un choc démographique annoncé – effet boomerang du modèle austéritaire instauré depuis des années –, la Fédération allemande de l’industrie (BDI) est en pointe pour solliciter un assouplissement de la politique migratoire. Car le patronat allemand fait face d’ores et déjà à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans certains secteurs. Portée par le Parti social démocrate (SPD), une nouvelle loi sur l’immigration, organisant une «voie rapide» vers l’asile pour les demandeurs les plus qualifiés mais aussi un processus d’expulsion plus expéditif pour tous les autres, est en préparation au Bundestag et la chancelière y serait très favorable.
Mais le piège de ce double langage, empruntant d’un côté au discours le plus virulent pour refuser toute politique solidaire avec Athènes et ouvrant de l’autre la porte à l’immigration, se referme. Les plus conservateurs sortent du bois. Horst Seehofer, chef de file de l’Union chrétienne sociale (CSU), dénonce «une erreur» de l’exécutif dont il fait partie. Et pour bien montrer le sens de sa colère, il a décidé d’inviter prochainement dans son Land de Bavière le premier ministre hongrois, Viktor Orban, symbole s’il en est du repli nationaliste dans l’Est européen. Au sein même de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel, des ministres ou des personnalités comme le commissaire européen Günther Öttinger n’hésitent plus à entonner une rhétorique populiste pour dénoncer «l’appel d’air» provoqué par le montant «trop avantageux» (sic) des allocations versées aux migrants à leur arrivée. De quoi combler d’aise l’Alternative pour l’Allemagne, le parti d’extrême droite anti-euro, qui fait feu de tout bois contre l’immigration, ou le mouvement Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident), qui rassemble à nouveau des milliers de personnes à Dresde chaque lundi.