La chancelière et le chef de file des sociaux-démocrates, qui sont parvenus à s’accorder sur un nouveau contrat de gouvernement, sortent très affaiblis de cette négociation. Leurs partis respectifs sont déchirés, par une opération qui reste à valider d’ici début mars par les adhérents du SPD.
Après une très longue dernière nuit de tractations, les partis chrétien-démocrate (CDU) d’Angela Merkel, chrétien-social bavarois (CSU) de Horst Seehofer et social-démocrate (SPD) de Martin Schulz sont parvenus mercredi 7 février à se mettre d’accord sur un nouveau contrat de gouvernement de grande coalition (GroKo). La voie se dégage ainsi pour une nouvelle intronisation de la chancelière sortante. Il faudra néanmoins encore attendre au minimum trois semaines et le résultat de la consultation des adhérents du SPD sur ledit contrat pour qu’un gouvernement Merkel IV puisse enfin être formé début mars, plus de cinq mois après l’élection du Bundestag. Ce douloureux accouchement pour une pérennisation vaille que vaille d’une trajectoire ordo-libérale allemande et européenne à bout de souffle laisse en fait les deux grands partis au bord du déchirement.
« Adhérez pour dire non »
C’est vrai pour le SPD, où les opposants qui considèrent la poursuite d’une grande coalition comme suicidaire pour leur parti, ont jeté toutes leurs forces dans la bataille (voir notre édition du 6 février). Mobilisés à fond contre la ratification du contrat gouvernemental, les jeunes socialistes (Jusos), rejoints par des dirigeants régionaux du parti, ont carrément lancé une campagne d’adhésion au SPD sur un thème sans équivoque : « Adhérez pour dire non ». Avec quelques succès puisque plus de 20 000 nouveaux membres sont venus grossir les rangs du parti, qui en comptait jusqu’alors environ 440 000.
Martin Schulz et la direction du SPD ne sont donc pas tout à fait au bout de leurs angoisses. Les timides formules obtenues de la CDU/CSU pour améliorer un système d’assurance-maladie aujourd’hui ouvertement discriminatoire pour les patients des caisses publiques ou pour lutter contre la prolifération des contrats de travail précaires n’apparaissent pas franchement à la hauteur des engagements significatifs que réclamait la base du parti sur ces dossiers. Discrédité par le tête à queue politique qui l’a conduit à désavouer durant des semaines la GroKo avant de décider de l’adouber, Schulz a du sacrifier son poste pour tenter d' »amortir » la colère des militants. Avec l’espoir qu’Andrea Nahles , chef de file du groupe SPD au Bundestag qui doit le remplacer à la tête du parti, puisse se montrer plus crédible dans la campagne fébrile entamée par la direction pour faire approuver le contrat de gouvernement par une majorité d’adhérents du parti.
Mais Angela Merkel sort aussi très affaiblie de l’épreuve et de ces semaines de crise politique inédite pour la République fédérale. Totalement tributaire d’un accord avec le SPD pour rester en poste, elle a dû lâcher du lest à un Schulz sous pression et donc à la recherche d’inflexions symboliques. Le SPD fait un carton plein de maroquins ministériels. Il va conserver les Affaires étrangères (poste avec lequel devrait pouvoir se consoler Schulz d’avoir lâché les rênes du SPD), l’Environnement et le Travail. Mais surtout il fait tomber le ministère des Finances dans sa besace. Le président du SPD y voit la raison d’annoncer quelques « bougés » sur le dossier européen. Comme le ralliement de Berlin à un budget d’investissement de la zone euro. Ce qui laisserait augurer un rapprochement avec le président français, Emmanuel Macron, alors que l’ancien titulaire du poste, Wolfgang Schäuble (CDU), y semblait plutôt hostile. Toutefois, la personnalité très libérale-conformiste du futur ministre des Finances, Olaf Scholz, maire SPD de Hambourg, ne laisse pas envisager non plus de rupture vraiment franche sur ce dossier.
Cette concession au SPD risque de mettre la chancelière en porte-à-faux dans son propre parti. Une aile droitière conteste déjà ouvertement sa politique, estimant qu’elle s’est trop recentrée, « sociale-démocratisée ». Plusieurs jeunes loups chrétiens-démocrates, comme le secrétaire général du parti, Peter Tauber (44 ans) ou Jens Spahn (37 ans), aujourd’hui secrétaire d’État aux Finances, sont en embuscade. Ils affichent un conservatisme assumé en politique et une orthodoxie monétariste décomplexée en économie qui les rapprochent des positions du chef de file du parti libéral, Christian Lindner, voire, si on les pousse au bout de leurs logiques, du national-libéralisme de l’extrême droite (AfD). Cette mouvance louche ostensiblement sur l’alliance droite-ultradroite qui démarre dans l’Autriche voisine.