Le grand argentier SPD annoncé d’un cabinet Merkel IV, fut l’ordonnateur des réformes de l’ex-chancelier et inscrit le changement dans la continuité de Schäuble.
Gerhard Schröder est venu épaulé son ami ,Olaf Scholz, pour son élection à la mairie de Hambourg
Il incarne la plus grosse prise du Parti social-démocrate allemand (SPD) dans l’accord conclu le 7 février avec les chrétiens-démocrates (CDU et CSU) en vue de former un nouveau gouvernement de grande coalition. Pour assurer sa réélection pour un quatrième mandat à la chancellerie, Angela Merkel a dû lâcher le ministère des Finances. Et c’est lui, Olaf Scholz (59 ans), jusqu’alors maire de Hambourg, qui hérite du maroquin qu’occupa pendant huit ans Wolfgang Schäuble. Signe du poids du poste au sein de l’exécutif allemand, Scholz s’est vu simultanément promu dans la fonction de vice-chancelier.
L’homme sera-t-il porteur d’une politique allemande qui s’éloigne un peu des canons austéritaires et impulse enfin une certaine solidarité européenne ? D’aucuns font mine d’y croire à Paris. La personnalité du nouveau grand argentier devrait pourtant inciter à la plus élémentaire prudence, voire au plus grand doute. Olaf Scholz fut en effet rien moins que le grand ordonnateur de « l’agenda 2010 », ce calendrier de réformes antisociales de Gerhard Schröder. L’ex-chancelier, qui présidait alors le SPD, le chargea entre 2002 et 2004 du secrétariat général du parti. Avec pour mission de lui faire accepter la secousse du missile Hartz sur le code et le marché du travail germanique. Alors qu’au sein même du SPD, le bien-fondé des réformes est aujourd’hui de plus en plus ouvertement critiqué, lui, Scholz, n’a aucun état d’âme et ne jure que par la poursuite de ce bon vieux cap.
Entre 2007 et 2009, alors qu’il était ministre du Travail du premier gouvernement de grande coalition d’Angela Merkel, il s’était déjà montré inflexible à toute réévaluation des allocations minimales Hartz IV alors que montait la colère dans le pays, où apparaissait un volant jamais vu de travailleurs pauvres et de précaires. Mieux, il fut alors l’un des promoteurs du passage à la retraite à… 67 ans.
Il n’a pas dévié de cette ligne dans la fonction de maire de Hambourg, qu’il occupait depuis 2011. Il a d’ailleurs conquis la ville avec l’appui ostensible de l’ex-chancelier Schröder, et accessoirement de son carnet d’adresses. C’est ainsi qu’il recruta Frank Horch, une sommité du monde patronal national, passé par Krupp puis Thyssen avant d’officier à la tête de Blohm + Voss, un géant de la construction navale. Un « coup de maître », selon l’hebdomadaire hambourgeois Die Zeit, qui lui a permis d’aspirer une bonne partie de l’électorat de la CDU locale, réduite depuis lors à de très basses eaux. Horch, de son côté, sévit jusqu’à aujourd’hui au rang de ministre de l’Économie de la cité-État.
L’équilibre budgétaire reste un « objectif intouchable »
Quant à l’héritage de Wolfgang Schäuble, le nouveau ministre ne manque pas une occasion de montrer qu’il sera préservé. Interrogé pour savoir s’il considérait l’équilibre budgétaire, le « schwarze Null » (léger excédent à tout prix), selon l’expression fétiche de l’ex-grand argentier devenu président du Bundestag, comme un « objectif intouchable », Scholz acquiesce sans hésiter : « Oui, nous sommes pour des finances publiques solides. » (1). Ce ralliement à une implacable discipline budgétaire devrait limiter l’ampleur d’une éventuelle politique allemande de relance que l’on se plaît pourtant si fortement à envisager du côté de l’Élysée en y voyant la source d’une nouvelle dynamique européenne et française.
D’autant que le maire de Hambourg avait apporté, il y a moins d’un an, à la toute fin du mandat de la précédente grande coalition, toutes les preuves de sa convergence « austéritaire » avec l’ancien détenteur du portefeuille. Schäuble et Scholz ont piloté ensemble une réforme constitutionnelle, votée en juin 2017 par une majorité des 3/5 du Bundestag, qui a débouché sur la suppression de la péréquation entre Länder riches et pauvres (Länderfinanzausgleich). Les États-régions les plus opulents, comme la Bavière, la Hesse ou le Bade-Wurtemberg, s’estimaient floués et pénalisés dans la gestion de leurs finances publiques. Ils présentaient leurs versements aux régions en difficulté comme une sorte de prime aux effets pervers puisqu’elle les dissuaderait d’assainir leurs comptes.
Défendant la primauté du principe de compétition, Wolfgang Schäuble a accédé aux revendications de Munich, Stuttgart et Francfort, les capitales les plus cossues. Une grosse prime annuelle versée par l’État fédéral est prévue pour aider les régions les moins bien loties en lieu et place de l’ancienne péréquation. Olaf Scholz, qui était le négociateur principal des Länder, a rejoint Schäuble et accepté ce changement de paradigme. Résultat : la compétition interrégionale va pouvoir désormais primer sur la solidarité, et les Länder indigents et moins « disciplinés » pourront se voir contester par l’État fédéral le financement de certains projets. Schäuble, secondé par… Scholz, a pu ainsi mettre en place un outil de contrôle et de rétorsion ordolibérale supplémentaire.
Cette centralisation à vocation disciplinaire est d’autant plus douloureuse que les Länder vont, de surcroît, devoir respecter un « frein à la dette » (Schulden Bremse) – inscrit, lui aussi, désormais dans la Constitution et exact pendant de la règle d’or du traité budgétaire européen – qui leur interdit tout nouvel endettement à partir de 2019. Seul un vote négatif des adhérents du SPD à la fin de ce mois pourrait encore empêcher Olaf Scholz de sévir.
(1) Olaf Scholz au magazine Der Spiegel du 10 février