La cheffe du SPD qui a annoncé dimanche 2 juin son retrait de la présidence du parti et de son groupe au Bundestag, était considérée comme la clé de voûte d’une alliance droite/gauche avec la CDU/CSU d’Angela Merkel, toujours plus contestée au sein de sa formation.
La crise politique ne cesse de s’approfondir outre Rhin. Une semaine tout juste après le résultat désastreux enregistré par le parti social-démocrate aux européennes, sa présidente, Andrea Nahles a annoncé dimanche 2 juin qu’elle démissionnait de sa fonction de cheffe du parti et de la présidence du groupe SPD au Bundestag, laissant entendre qu’elle pourrait même se retirer totalement de la vie politique en abandonnant prochainement son mandat de députée.
Cette démission surprise a fait l’effet d’une bombe politique. Nahles affirmait en effet 48 heures après le verdict des européennes et la défaite concomitante enregistrée par le SPD dans le Land de Brême qu’il administrait depuis…1945, qu’elle poursuivrait sa tâche pour surmonter « le très rude défi » auquel son parti était confronté. Mais la patronne du SPD, critiquée ouvertement jusque dans les directions nationales et régionales, est lâchée, selon un sondage, par les deux tiers des membres de la formation.
En jetant l’éponge dimanche 2 juin Nahles s’est adressée aux adhérents du SPD: « j’espère que vous parviendrez à trouver des personnes, capables de renforcer confiance et respect mutuel», dit-elle en allusion à une nouvelle direction qui ne pourra prendre les rênes qu’à la suite d’un congrès extraordinaire, vraisemblablement en septembre prochain. En attendant c’est un triumvirat qui assurera l’intérim à la présidence du parti. Il est composé des ministres présidentes de Rhénanie-Palatinat et de Mecklembourg Poméranie, respectivement, Malu Dreyer et Manuela Schwesig, ainsi que de Thorsten Schäfer Gumbel qui dirige le SPD dans le Land de Hesse, chacun d’eux ayant fait savoir qu’il n’aspirait pas au poste laissé vacant par Nahles. Le plus âgé des députés SPD, Rolf Mützenich prendra, lui, la direction du groupe au Bundestag.
Ce tremblement de terre au sein du SPD ne peut pas ne pas avoir de conséquence sur l’avenir de la chancelière, elle même. Nahles était considérée en effet comme une sorte de clé de voûte de la grande coalition. Quand elle succéda à Martin Schulz à la tête du SPD en avril 2018, héritant d’un parti en crise ouverte, déjà, elle s’engagea en faveur de la reconduite d’un accord de gouvernement avec Angela Merkel tout en jurant qu’il était possible de redonner simultanément « des couleurs » au SPD meurtri par le plus bas historique enregistré à l’élection du Bundestag de septembre 2017. Elle s’est efforcée de donner un profil général moins consensuel au parti, n’hésitant pas à avancer un programme plaidant pour un « nouvel état-social » dans lequel elle n’hésitait pas à prendre quelques distances avec la fameuse réforme Hartz du marché du travail, œuvre du gouvernement SPD/Vert du chancelier Schröder au début de la précédente décennie. Cette réforme qui a instillé une forte dose de précarité dans la société, est honnie par l’opinion publique et le SPD qui y reste associé jusqu’à aujourd’hui continue de la porter comme un boulet.
Des dirigeants de l’aile gauche du parti font connaître leur scepticisme croissant à l’égard de la grande coalition. « Nous n’avons pas passé de contrat d’abonnement avec l’Union ( chrétienne démocrate, NDLR) » lancent dans un appel commun , le vice-président du parti, Ralf Stegner, associé au vice chef du groupe parlementaire, Matthias Miersch et au chef des jeunes sociaux-démocrates, Kevin Kühnert. Ils exigent, avant la fin de l’année, des décisions concrètes sur la gratuité de la formation, l’amélioration des retraites, la protection du climat et une règle pour restreindre les exportations d’armes. Partiellement entendu sur ce dernier point avec le gel des ventes d’armes à l’Arabie saoudite prolongée par Merkel le 30 mars dernier ( L’humanité du 31 mai ), le SPD se voit opposé une fin de non recevoir par la CDU sur tous les autres dossiers. Si nous n’obtenons pas satisfaction, préviennent les auteurs de l’appel, la date de la fin de la grande coalition prévue au plus tard jusqu’en 2021, devra « être avancée.»
Un éclatement de l’attelage gouvernemental pourrait aussi bien signifier des élections anticipées que l’ouverture de négociations pour faire émerger une coalition «alternative» entre la CDU, les Verts et les libéraux (FDP). Mais ce scénario paraît de plus en plus improbable. Même si les Verts fortement recentrés ne bouderaient pas une alliance avec la CDU ils ont bien trop le vent en poupe pour ne pas espérer être les principaux bénéficiaires d’un scrutin avant échéance. Ils viennent en effet de réaliser 20% aux Européennes et un sondage publié dimanche les verraient même rafler… à la CDU, la première place sur l’échiquier politique germanique.
Dans le parti d’ Angela Merkel on a bien perçu l’acuité de la menace. La chancelière elle-même a du monter au créneau soulignant le besoin de « faire preuve de sérénité et de responsabilité» pour poursuivre jusqu’à terme «la mission gouvernementale» sur laquelle les deux ex grands partis se sont engagés. Une posture aussi inhabituelle que défensive qui illustre combien l’histoire de la grande coalition pourrait ne pas attendre la fin de cette année pour s’écrire au passé.