Les marchés financiers ont retrouvé des couleurs depuis le mois d’avril, portés par les plans à milliers de milliards de dollars ou d’euros qui leur sont dévoués, alors qu’explosent le nombre de victimes du coronavirus et le chômage (paru in l’humanité du13 mai 2020).
Le paradoxe ne cesse de s’accentuer. Depuis un mois, les nouvelles du front de la crise économique qui accompagne la crise sanitaire provoquée par le coronavirus sont toujours plus alarmantes. Une récession historique est attendue, pire que celle des années 1930. Aux États-Unis, dans le cœur du maelström des deux crises, les indicateurs les plus alarmants se succèdent. Et pourtant dans la même période, les courbes de Wall Street se sont redressées. Au point d’afficher un bond historique à la fin avril, la plus forte progression depuis 80 ans (+ 15%) enregistrée sur deux semaines. L’indice Dow Jones, accroché sur la crête des 24 000 points où il s’est stabilisé depuis lors, a ainsi refait une partie du formidable plongeon enregistré en mars où il avait perdu près d’un tiers de sa valeur. Au même moment, les États-Unis enregistrent au moins 80 000 morts dans la pandémie et le nombre de chômeurs dépasse désormais les 30 millions. Cherchez l’erreur.
L’économiste états-unienne Laura Spring a placé en vis-à-vis les courbes de l’augmentation des victimes et des chômeurs et celle du Dow Jones. La tendance est saisissante, s’exclame-t-elle sur une vidéo devenue virale où elle expose ces faits : « C’est comme si le Dow Jones avait progressé dans cette période au rythme des morts et des chômeurs. » Même s’il s’est manifesté dans des proportions moins outrées qu’à Wall Street, le même phénomène s’est propagé, au même moment, sur toute la planète financière. À Paris, l’indice CAC 40 a enregistré des progressions spectaculaires, comblant, lui, environ un tiers des pertes enregistrées début mars.
De quel mystérieux gourou peuvent bien disposer les traders des marchés boursiers ? L’explication n’a rien de magique. Elle est à rechercher dans ces flots très concrets de dizaines de milliers de milliards de crédits gratuits déversés par les banques centrales et dans les plans dits de relance des gouvernements. Cette thérapie de choc pour le capital a tiré les actions ou obligations, les titres cotés en Bourse, de leur accès de faiblesse. La préservation de leur valeur a constitué la priorité des interventions massives et autres « bazookas » engagés, selon l’expression du ministre des Finances allemand, Olaf Scholz. Il n’est pas lieu de mégoter « quoi qu’il en coûte », a surenchéri son collègue français, Bruno Le Maire.
La Réserve fédérale états-unienne s’est engagée sur des plans de rachat de bons du Trésor et de titres d’entreprises, d’abord pour plusieurs milliers de milliards de dollars. Puis carrément de façon « illimitée ». Ce qui, de fait, constitue une assurance aux traders qu’ils trouveront un acheteur quoi qu’il arrive sur le marché. Il n’y aura pas de perdants, a voulu signaler, de la même manière, la Banque centrale européenne (BCE) en déployant son plan à 750 milliards d’euros assorti d’un nouveau PEPP, ou programme pandémique d’achat d’urgence.
Des institutions étrangères
à l’intérêt du plus grand nombre
Les Bourses sont ainsi devenues une sorte d’arène où les joueurs, au moins les plus gros, sont assurés de gagner quelles que soient les circonstances. Ceux-là agissent pour les banques géantes comme Goldman Sachs aux États-Unis, les gros groupes industriels comme Daimler en Allemagne ou les multinationales du luxe comme Louis Vuitton en France. Ils vont pouvoir accéder aux liquidités à taux nuls mises à leur disposition par les banques centrales. De quoi continuer à se financer mais aussi à spéculer et à jeter son dévolu sur d’éventuels concurrents dans des opérations qui, au passage, seront très coûteuses en emplois et promettent donc d’aggraver les tendances déjà calamiteuses du chômage.
L’addition des opérations « quoi qu’il en coûte » pour le sauvetage du capital sera ainsi présentée aux salariés et aux citoyens. Très rapidement quand il s’agira d’imposer des restructurations dans une entreprise ou à plus longue échéance quand il faudra rembourser les emprunts ou autres « bonds » souscrits massivement par les États sur… les marchés financiers.
Pour faire face aux crises, pandémique et économique, des ressources considérables sont nécessaires. Les autorités états-uniennes et européennes n’ont certes pas manqué de le repérer. Mais pour laisser les clés, les pleins pouvoirs et le carnet de chèques au capital, comme dans la gestion de la crise de 2008.
Le problème sanitaire global auquel est confrontée l’humanité réclame une tout autre approche. Il faut mettre des moyens décuplés certes, mais au service de la santé, de la survie de l’espèce et du bien commun. La crise a d’un seul coup donné beaucoup de crédit à la création monétaire pour financer les économies et les États. La méthode, considérée encore il y a peu de temps comme totalement hétérodoxe, est désormais devenue une sorte de référence sans appel. La question est de savoir pour qui et comment elle doit être développée ? Pour shooter les marchés financiers et leur dangereuse gonflette ou pour investir dans la santé et les biens communs dont l’humanité a besoin.
La Bourse ne cerne les investissements qu’en fonction de leur retour plus ou moins rapide sous forme de profits. La gestion de l’intérêt du plus grand nombre est un critère auquel elle est totalement étrangère, si ce n’est hostile. On ne peut donc plus lui confier les investissements utiles aux populations. Surtout dans une période d’urgence où s’impose la nécessité d’une action globale et synchronisée contre la pandémie et alors que frappent tout juste derrière les défis du changement climatique, de la sécurisation des emplois et du développement de tous les êtres humains.
La création monétaire peut devenir un vecteur d’émancipation de la tutelle financière des Bourses. Le pays sans doute le plus inattendu, en l’espèce, le Royaume Uni du très libéral Boris Johnson en a fait l’expérience à son corps défendant en ayant recours à un financement direct partiel, faute vraisemblablement d’avoir pu trouver de nouveaux souscripteurs à des titres du trésor britannique. On a ainsi inauguré outre manche un financement direct de l’Etat qui allégera d’autant le fardeau de la dette pour le contribuable britannique. Londres jure qu’il ne s’agit que d’une « solution provisoire » et ne se sert certes de cet argent bon marché que pour continuer de mener des politiques publics favorables au capital. Il n’empêche un tabou a été franchi très concrètement.
En Europe, un autre type de financement des états, adossé à la création monétaire de la BCE, pourrait être rapidement mis en œuvre ( voir l’interview ci contre de Heinz Bierbaum, président du Parti de la gauche européenne). Les économistes communistes français préconisent, de longue date, une solution de ce type en y associant des nouveaux critères de sélectivité du crédit et de contrôle démocratique afin d’orienter réellement les investissements indispensables aux services publics et autres biens communs.